Tout était calme. Seuls les
oiseaux gazouillants et le doux ronronnement qu’accompagne chaque
après-midi ensoleillé venaient rompre le silence
ambiant, alors que j’avançais lentement le long du sentier
sablonneux. C’était une magnifique journée de
printemps et la lumière baignait chaleureusement la vaste
étendue d’herbe et les arbres en fleurs qui s’offraient à
ma vue. Après un hiver particulièrement long et rude,
c’était un véritable bonheur que de sentir la caresse
de la brise printanière sur mon visage et les doux rayons du
soleil sur ma peau. Le bruit étouffé d’une tondeuse
à gazon résonnant à quelques centaines de mètres
d’ici venait parfaire l’atmosphère de plénitude à
laquelle je goûtais. Perdu dans mes pensées, je n’avais
dans la tête aucune destination précise, animé
par le seul désirer de faire quelques pas, seul, dans cette
nature en fleur. L’environnement avait un effet apaisant et
l’immense fardeau que je portais me paraissait soudain plus léger,
les pensées sombres que je ressassais me semblaient moins
présentes, et la douleur qui m’étreignait le poitrail
se faisait moins ressentir. Mon esprit était toutefois loin
d’être vide, pas même un tel jardin d’Eden n’ayant
le pouvoir de me donner enfin la paix, et je ne pouvais m’empêcher
de faire une nouvelle fois le point sur ma vie, mes actes, mes
erreurs….bref, sur Moi. Tout arrivait, comme à l’ordinaire,
de manière confuse : mes premières pensées,
les plus tenaces, étaient pour Elle, bien sur, puis de
nombreux doutes sur mon être et mon caractère unique
m’étreignaient, suivis de suppositions plus ou moins noires
quant à mon hypothétique avenir. Ensuite venaient
immanquablement les hypothèses et les règles que je
bâtissais sur mon entourage et l’Humanité en générale,
distançant de peu les mises en parallèle de ma propre
existence et de celle, qui me paraissait si différente, des
Autres. De cette comparaison je tirais la conclusion que j’étais
décidément un être étrange, puis son
visage s’ancrait de nouveau dans ma tête, tenace, amenant
avec lui la dernière pensée, la plus forte de toute :
la mort, la mienne pour être précis. J’en étais
arrivé à ce stade de mon cheminement intellectuel
lorsque la nature qui m’entourait se rappela soudain à mon
esprit. Je secouais brutalement la tête pour remettre un peu
d’ordre dans mes pensées et balayait de nouveau la verdure
ensoleillée du regard. Qu’il était stupide de se
laisser absorber par ce type de pensée par une telle
journée…J’entrepris de laisser mon esprit vide de tout
raisonnement inutile et me concentrait uniquement sur ma marche,
toujours tranquille, et le paysage qui m’entourait. Un oisillon se
pause sur la branche d’un chêne juste à ma gauche et
entama son gazouillement. J’esquissais un sourire en le regardant
puis laissait mon regard s’attarder sur le gazon verdoyant qui
commençait lentement à se recouvrir de boutons d’or.
Tout était si calme…
J’entendis la détonation
environ une demi-seconde avant que la balle ne vienne me frapper
l’arrière du crâne. Une douleur fulgurante passa comme
un éclair dans ma tête et je plaquais immédiatement
mes deux mains sur mes cheveux. Mes jambes devinrent soudain
extrêmement faible et je tombais lentement à mon genoux
tandis que je contemplais mes mains rouges d’un sang épais
que je sentais encore couler le long de ma nuque. Qui était le
tireur ? Je l’ignorais et, curieusement, je m’en
contrefichais : sans doute un de ces imbéciles parmi
tant d’autres qui jalousaient mon succès et ma réussite.
Une jolie bande de crétins qui s’en tenaient à la
partie immergée de l’iceberg, et qui étaient tous à
des années lumières de s’imaginer que j’aurais tout
donné pour être à leur place. Quand vous savez
qu’il ne vous reste qu’une fraction de secondes à vivre,
les idées s’enchaînent très vite dans votre
esprit : il m’avait fallu à peine quelques instants
pour trancher la question de l’identité du meurtrier, et
tandis que ma vue se brouillait de plus en plus (l’herbe ne formait
plus qu’un immense tapis vert extrêmement flou), des dizaines
d’images commencèrent à défiler devant mes
yeux. D’abord, je la vis Elle : ses cheveux blonds, son
sourire chaleureux et malicieux à la fois, ses yeux noirs, son
rire…je revis toutes les (rares) scènes que j’ai passé
en sa compagnie, toutes les phrases(même les plus anodines)
qu’elle m’a dite, puis les derniers mot que je lui ai dit alors
que je la voyais pour la dernière fois…Je revois aussi tous
mes petits succès, mes instants de « gloire »
publique et de déchéance privée, puis les
moments heureux, les fêtes, et tout le reste…Enfin je fais le
point sur la question qui me taraude le plus : ai-je réussi
à changer ? Suis-je parvenu à combattre l’inné
par l’effort, le travail et l'action ? Mon bilan est en
demi-teinte, puisque le regard que tous les autres portaient sur moi
a changé…tous les autres, sauf Elle. Et, à vrai dire,
c’était uniquement pour elle que j’avais voulu devenir
Autre…Un cri perçant. Je vois une femme accourir vers moi.
Je délire pendant une fraction de seconde avant de réaliser
dans le flou que ses cheveux sont bruns. Elle se penche vers moi mais
sa silhouette n’est déjà plus qu’une forme dont je
suis incapable de distinguer les détails. Je vois d’autres
personnes s’approcher mais leurs silhouettes sont de plus en plus
floues. De toute manière, je ne pense même pas à
eux : tous mes songes sont à présent dirigés
vers la même personne. Son visage est la dernière image
à se maintenir dans ma tête, puis tout devient noir.
2e essai :
J’ouvris lentement les yeux. Mes
paupières battirent plusieurs fois avant que mes pupilles
encore engourdies par le sommeil ne puissent y voir clair. La pièce
était baignée par la lumière du soleil de ce
mois de juillet : il devait déjà être 11h
passée. Je restais quelques instants à fixer le plafond
tout en étirant lentement mes bras, avant tourner la tête
vers la gauche. Charlotte était encore endormie. Ses cheveux
couleurs d’or formaient un enchevêtrement blond autour de son
visage et la faisaient ressembler à un ange. Sa respiration
était calme et régulière ; à en
croire son sourire généreux, elle devait faire un rêve
magnifique.
J’avais visiblement un peu trop tiré
sur la couverture durant mon sommeil, et ses épaules étaient
dénudées. Je la recouvris délicatement de peur
qu’elle ne prenne froid (quand on est amoureux, on ne réalise
pas à quel point ce type de pensée peut être
stupide en plein cœur de l’été), puis je me
laissais retomber sur mon oreiller tout en continuant de la
contempler d’un air bienveillant. Je pourrai rester des journées
entières ainsi, à la regarder dormir. Mon petit ange…tu
sembles tellement insouciante dans ses moments là…je te
vois presque comme un bébé quand tu dors de cette
manière…j’aime alors à me dire que tu es si faible,
que tu as tant besoin que l’on te protège, que je te
protège…et d’un autre côté, je sais
parfaitement à quel point cette pensée est stupide :
sous tes airs de petite fille toute gentille, tu as bien assez de
caractère pour te passer d’une quelconque protection…c’est
peut-être aussi pour cela que je t’aime tant. Fatalement, à
force de la contempler ainsi, je finis par ressentir une sensation de
chaleur dans le bas-ventre bien connue et plutôt agréable,
et, n’y tenant plus, je me penchais doucement vers elle et déposait
délicatement un baiser sur sa joue. C’est malin, j’allais
la réveiller, à tous les coups….ho, et puis peu
importe ! Il serait bientôt midi, il était tant
qu’elle se lève, cette petite marmotte ! Ses sourcils
se froncèrent légèrement tandis qu’elle
commençait lentement à émerger du sommeil, puis
elle étira lentement ses bras. Enfin, ses paupières
battirent pendant une fraction de seconde, et elle ouvrit les yeux.
Son regard vint immédiatement se poser sur moi. Elle sourit.