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    Que peu de temps suffit

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    Que peu de temps suffit Empty Que peu de temps suffit

    Message par Petimuel Dim 11 Mai - 1:10

    Pour inaugurer la section, voici le début d'une petite nouvelle en cours d'écriture. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, en bien comme en mal. Bonne lecture!


    Que peu de temps suffit


    Il s’était bêtement laissé happer, en quelque sorte. Un feu pour piétons avait passé au vert à côté de lui alors qu’il allait chercher des produits ménagers en bordure de la banlieue, et il n’avait pas pu y résister : il emprunta le passage clouté. Une fois là-bas, ne sachant que faire, il se dirigea vers le feu vert le plus proche et, de feu vert en feu vert, de trottoir en passerelle, d’hésitations en frénésies, il s’était laissé dériver jusqu’à la ville comme un bateau, emporté par une dérade, heurterait les blocs du quai auquel il est amarré.
    C’était un garçon de l’Ailleurs. Il n’avait jamais vécu à la ville et, au fond, peut-être pensait-il ne jamais le pouvoir. C’était à peine s’il l’avait vue, parfois, au détour d’un sentier. Il en avait effleuré les frontières, certes, avec un frisson douloureux lui murmurant dans les reins le bonheur qu’il pourrait y avoir. Chaque fois qu’il allait chercher des provisions, il voyait la lumière de sa masse sombre. Il goûtait avec un appétit particulier la résistance que les trottoirs offraient à sa semelle, quoiqu’il eût des trottoirs près de chez lui qui ressemblaient beaucoup à ceux-ci, à l’idée qu’il approchait de la ville, comme s’ils étaient plus résistants, plus solides, pavés de matière différente. Son pied même semblait sentir avec un délice tout particulier que ces trottoirs là avaient été empruntés par des gens de la ville. Non qu’il n’aimât pas l’Ailleurs, non qu’il se lassât du bruit de la mer, non qu’il ne fût pas saisi d’admiration devant les couchers de soleil sur les champs baignés d’ocre, non qu’il ne prît pas plaisir à sentir le jour lui masser le visage, assis sur une colline. Non qu’il ignorât les dangers et les tares de la ville, le peu de commode qu’il y avait, la promiscuité difficile, parfois, mais il savait qu’il y avait là-bas des sources de plaisir qu’il n’avait pas, seul chez lui. Aussi n’avait-il pas opposé beaucoup de résistance, passés les quelques premiers feux, à cette errance qui pourrait le mener là-bas, sans qu’il ne s’en sentît pleinement responsable.
    Il avait traversé des rues glauques aux façades sombres et sans vie. Des maisons décharnées aux ongles cassés, étendant autour de lui leurs doigts squelettiques et leurs lèvres gercées, bordaient ses pas désordonnées. Des poubelles éventrées le regardaient passer, des trottoirs défoncés l’accueillaient, il frissonnait dans l’ombre chaque fois qu’il voyait quelqu’un, surtout les groupes de jeunes en survêtements de sport. La nuit tombait et, parfois, il n’avait que le faible halo jeté par le petit bonhomme vert, éternellement en mouvement, pour le guider, refuge grésillant des voyageurs désespérés et sans but.

    Quand enfin les derniers coins de bâtisses s’ouvrirent sur la ville, il le sut à la vive douleur de ses yeux, éblouis par les mille lumières courant de tube en tube sur les néons abracadabrantesques qui dessinaient devant lui leurs motifs complexes et leurs sourires glacials dans un pépiement survolté. Des disques couraient dans ces longs serpents multicolores dont les couleurs s’entrecroisaient et se disputaient d’une maison à l’autre, bousculant leurs coins, arrondissant leurs angles, chahutant leurs croix, soufflant des lunules phosphorescentes qui s’éparpillaient dans la nuit en trémolos aigus. Il dut rester longtemps immobile devant cette succession de débauches de surenchères. Il était face à un carrefour : une large rue courait, perpendiculaire à celle qu’il venait d’emprunter, bien que celle-ci ne suivît pas son cours après ce croisement, mais se divisât elle-même en une fourchette de deux voies disjointes, généreusement garnies d’enseignes affriolantes chantant le bonheur qu’on trouvait dans les boutiques auxquelles elles appartenaient. Les rues étaient croulantes de voitures avançant au trot, tranquillement, sans que les gaz ne le dérangeassent ni que leur vue ne pût troubler pour lui la beauté de l’environnement : les véhicules eux-mêmes étaient rutilants et colorés, projetant leurs reflets vifs dans le fond de ses yeux de jeune homme. Aveuglé qu’il était, il ne parvint pas à distinguer le visage des automobilistes, qu’il imaginait béats d’extase et de bonheur permanent.
    Il restait là, immobile mais si ébloui de courants lumineux qu’il avait l’impression de dériver, bercé par ces promesses inlassables. Batelier parcourant des terres inconnues, debout sur son esquif taillé dans du bois plein, il regardait, immobile, les immensités du Monde s’ouvrir devant lui. Il ne réussissait pas encore à donner leurs sens véritables aux mots « Supermarché », « Casino » ou « Pizzas à emporter » que dessinaient dans le noir leurs lettres évanescentes et colorées. Il laissait simplement le tournis ambiant venir à lui, le gagner, pénétrer chaque parcelle de son être jusqu’à ce qu’il fût sur le point de tomber. Se sentant pencher en avant, il avança le pied pour garder son équilibre.
    Le premier pas était fait, l’homme avait marché sur sa lune.

    Il tituba dans les rues saturées de cette ville nouvelle, bateau cherchant sa route bordée de phares aux directions contraires. Il ne s’était pas encore défait des allures de guides qu’avaient eu pour lui les simples feux pour piétons au long de son périple, et ces signaux dont la surabondance était si soudaine lui apparaissaient comme autant de sémaphores hurlants, le tiraillant de tous côtés pour le faire entrer dans ces lieux d’infinis débordants de richesses dont il ne pouvait se résoudre à en aller visiter un plutôt qu’un autre. Il voyait déployés devant lui des trésors d’ingéniosité, des machines vrombissantes aux possibilités immenses, des étals entiers remplis de différentes marques de cigarettes des magazines empilés comme des fagots de blé, de la nourriture débordant des boutiques comme si elle sortait des caves les mieux entretenues en même temps que de vergers ensoleillés dont les flancs chaleureux venaient de délivrer leurs produits mûrs, enfin des travaux d’orfèvrerie qui lui semblaient hors pair : des bijoux ravissant, des bagues étincelantes, des colliers parcourus de frissons éclatants, des montres clinquantes dans le sourire de leurs aiguilles.
    Il marcha longtemps sans oser jamais s’y aventurer vraiment, de peur de froisser ces portes de verre, de peur surtout de ne savoir par où commencer. Comment faisaient les gens qui connaissaient la ville, qui avaient la chance de la traverser régulièrement, voire même – ô délice suprême, et suprême pensée! – de l’habiter ? Quel était leur rituel ? Commençaient-ils par entrer dans la droguerie ou dans le restaurant ? Devait-on aller voir les montres avant ou après les fruits ? Pouvait-on vraiment entrer dans ces boutiques mystérieuses dont la façade masquée par des rideaux cramoisis ne laissait pour seul indice qu’une inconnue mathématique ?
    La réponse à cette question ne se fit pas attendre : il vit à l’instant même un homme y entrer prestement, prenant d’infinies précautions pour dissimuler son visage. C’était peut-être un signe, l’invitant à s’engouffrer au plus vite entre ces deux pans de lourd tissu. Le pourpre, couleur de la noblesse et couleur de la passion ! Cet antre devait receler de délicieuses choses… Mais il n’osa pas. Il ne put s’y résoudre, et continua de déambuler, automate extasié devant le spectacle, nouveau pour lui, de la Vie grouillante.
    A mesure qu’il avançait cependant, les signaux se raréfiaient peu à peu, lassés de se démener pour un homme qui ne leur accordait visiblement pas de crédit, jusqu’à ne désigner l’entrée que de quelques établissements par rue, puis même jusqu’à ne redevenir que des signaux perdus dans la nuit.

    Finalement, il se décida à rentrer dans un bar, au milieu d’une rue mal éclairée. Il avait vu un menu en ardoise, pendu derrière la paroi vitrée. Ainsi, au moins, il ne s’enfoncerait pas dans l’inconnu. En cas d’ultime détresse, il pourrait prendre un plat au hasard. Le hasard était préférable au mystère.
    Il entra, s’aventurant au milieu de la fumée et des tables en toc réfléchissantes, environné de gens flous et de discussions inaudibles. Il s’appuya sur le zinc. Un tenancier avec une tête de tenancier, une serviette à la main, un tablier passé sur les épaules, vint le saluer et lui demander ce qu’il désirait. Le jeune homme piocha dans le menu un filet aux haricots, puis alla s’installer devant une petite table ronde semée d’hexagones, dont la tranche circulaire était boudinée et métallique. Son pied, long et filiforme, plongeait jusqu’à se visser, semblait-il, directement dans le sol.
    Il s’amusa quelques instants à faire miroiter sous ses yeux les figures chromées de sa table puis, au bout de la main du serveur, son assiette apparut soudainement puis se laissa déposer dans un petit bruit sourd. Il mangea avec appétit, savourant cette nourriture qui, quoiqu’elle ne fût pas bien différente de celle qu’il avait pu goûter jusqu’alors, avait ce parfum délicieux que lui prêtait son origine urbaine.
    Il eut bien un peu honte, au moment de payer, de devoir donner au comptoir des pièces qui avaient longtemps circulé hors de la ville, comme s’il y introduisait un peu d’étranger, au risque de l’altérer, quoique le tenancier n’eût même pas l’air de prêter attention à la somme qu’il lui tendait.. Mais il n’y pensait déjà plus une fois ressorti, étonné qu’il était de voir l’endroit grouillant de lumières et d’énergies, craquant sous les signaux, alors qu’il s’en souvenait comme d’un lieu assez sombre, aux néons clairsemés. Il sourit. Cette surprise lui apparaissait comme la marque probable d’une enchantement constant et sans cesse renouvelé de ce vaste soleil urbain dont les arabesques enflammées ne s’affaissaient dans son ventre brûlant que pour mieux rejaillir ensuite, plus grandes encore, et plus lumineuses, ainsi cette rue, tout à l’heure éteinte, qui désormais palpitait violemment, langue de feu impudique et sinueuse.

    L’heure avançait et, quoique le disque de la lune eût disparu dans un ciel encombré par les faisceaux criards des enseignes emmêlées, il sut approximativement l’heure qu’il pouvait être. Il était, du reste, très fatigué, et se laissa dériver jusqu’au premier hôtel en vue – il n’eut d’ailleurs pas beaucoup de chemin à parcourir avant de le rencontrer –, un établissement petit mais sympathique, aux murs tendus de jaune et à l’accueil chaleureux. Il obtint une petite chambre au troisième, puis alla se coucher, sans prendre vraiment le temps de détailler son logis, lequel comprenait un lit, deux tabourets, une petite table, une étagère à deux niveaux, une petite télévision, une lampe de plafond et une lampe de chevet, avec des toilettes dans une salle connexe, à côté desquelles trônait un évier en vis-à-vis avec une douche cerclée de rideaux fleuris en toile cirée.
    Il n’avait ni brosse à dents ni pyjama ; il se dévêtit, mal à l’aise, suant encore de la journée qu’il avait passé. Pourtant, quand, tirant les draps, il s’allongea au milieu du lit, ce fut l’univers entier qu’il sentit graviter autour de lui dans un tourbillon approbateur. Il se sentait fondre au milieu d’un espace clément, comme si à cet instant précis il avait été accepté par les murs de sa chambre, et au-delà d’eux-mêmes par l’immensité des bâtiments qui l’entourait.
    Avec un soupir d’aise, il se laissa fondre dans son lit, s’imaginant perler sur le plancher, s’insinuer dans les interstices qui s’ouvraient entre les murs à sa venue, polir les vitres, nettoyer les façades, faire miroiter le sol des rues qui, à son passage, réfléchirait les lumières dansantes des néons, rêvant qui était un fleuve placide s’étendant sur son lit. Et peut-être le fut-il vraiment. Il se sentit couler dans le sein béni d’une belle déesse.
    Et il passa sa première nuit avec la Ville.


    Dernière édition par Petimuel le Sam 17 Mai - 19:57, édité 1 fois
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    Que peu de temps suffit Empty Re: Que peu de temps suffit

    Message par Khärynn Lun 12 Mai - 15:05

    Je respecte beaucoup. Mais ce n'est pas le genre de récit qui m'embarque. ça me fait un peu le même effet, certes en plus agréable, que Proust. J'attends l'action...
    Mais si action il ne doit pas y avoir, alors je n'ai rien à dire ^^

    Bref, avec plus de rebondissements j'aurai été heureuse. Là je suis respectueuse. Smile
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    Message par Petimuel Lun 12 Mai - 16:45

    Ce n'est pas un texte avec beaucoup de rebondissements, néanmoins il y a quand même une intrigue, qui arrive avec le morceau que je vais envoyer.
    Si tu veux de l'action (et de l'absurde Very Happy), je te renvoie vers une autre nouvelle, que j'aurais bien voulu mettre ici mais les restrictions de longueur de message trop grandes m'ont découragé. Je te donne donc le lien vers un autre forum (bouh le vilain) : ici . Ca devrait être plus à ton goût. Wink

    Entre-temps, voici toujours une petite suite.



    Au réveil, il lui fallut du temps avant de retrouver le lieu dans lequel il se trouvait. Ses yeux étaient déjà préparés à s’ouvrir sur sa chambre habituelle, avec ses meubles à leur place, parsemée de ciels, semée de soleils et charriant des vagues de glycines odorantes. Mais étrangement, cet univers ne réussissait pas à se fixer, et chacun des objets dérivait dans le vague. Les deux visions, celle de son réveil ce jour-là et celle de tous ses autres réveils, se superposaient sans parvenir à cohabiter. A peine parvenait-il à distinguer sa table de chevet que celle-ci changeait brusquement de forme, ses coins s’étiraient, ses poignées s’allongeaient, son bois s’épaississait et prenait une couleur plus claire ; et pendant ces mutations le décor à l’arrière plan changeait lui aussi ; les rideaux se déplaçaient et hésitaient entre deux couleurs, les murs mêmes semblaient découper la pièce selon leur fantaisie.
    Il avait relevé son torse, appuyé sur un bras, se frottant les yeux de l’autre main. Il avait encore un peu le tournis mais les choses autour de lui semblaient enfin consentir à se mettre en place, avec toutefois un manque de zèle flagrant.
    Quand enfin il parvint à établir qu’il était dans cette petite chambre d’hôtel avec son lit, ses deux tabourets, sa petite table, son étagère à deux niveaux, sa petite télévision, sa lampe de plafond et sa lampe de chevet, avec ses toilettes et son évier et sa douche cerclée de rideaux fleuris en toile cirée, il sourit, puis se laissa de nouveau choir contre le matelas. Il n’avait pas envie de bouger. Il voulait rester là, recouvert d’un drap fin, la tête contre un oreiller, le corps enfoncé dans un matelas meuble. Dans le lit de la ville. Dans son lit.
    L’heure avançait et les rideaux bleus qui voilaient la fenêtre se teintaient d’un halo vermillon à mesure que le soleil montait dans le ciel. Il aurait aimé pouvoir rester là éternellement, baigné par la douceur câline de la Ville qui l’avait couché dans son flanc.
    Il gesticula un peu, sous son drap, et gémit de plaisir. Il était rose encore des parfums de l’enfance, lui qui n’avait jamais connu que ceux des fleurs et de l’écume salée, rose et recroquevillé dans ses draps caressants. Un bruissement ronronnant chatouillait ses oreilles, habituées encore aux chants des oiseaux et aux cantiques des clochers de village. Il avait l’impression que là, dans ce lit, les heures pouvaient se renouveler éternellement sans jamais ce succéder, sans que jamais ce réveil dans une chambre d’hôtel ne fût pour lui quelque-chose de commun ou d’habituel ; il croyait pouvoir connaître une infinité de renouveau, entre ces quatre murs du troisième étage d’une rue dont il ignorait et ignorerait toujours le nom.

    Mais il était bouillant d’énergie, et il fallut bien se lever à un moment, quand les draps commençaient à être poisseux et l’inertie étouffante. Il bondit hors de son lit, s’habilla rapidement et se rinça la bouche avant de sortir. Sa monnaie était comptée, mais il avait l’intention de se procurer une brosse à dents dans la journée.
    Il sortit de l’hôtel en toute hâte puis flâna un peu au hasard des rues, repeintes à la couleur du soleil. Il fut ravi de voir que les néons éteints étaient aussi discrets qu’ils étaient voyants allumés, et ces motifs de tubes froids qui la veille projetaient leurs délices pleins phares jusque sur les façades avoisinantes se fondaient discrètement parmi les spectacle des maisons entièrement révélées à sa vue, avec leurs balcons, leur charme et leurs persiennes. Il était admiratif de la bicéphalie formidable de cette ville dont les rues étaient la nuit succession d’enseignes, et successions de façades le jour.
    Chaque bâtiment semblait ainsi mener une double-vie. Certes, ce « restaurant » de la veille était toujours un restaurant, mais s’il avait été une cascade de rêves lumineux et clignotants à son premier passage, il le retrouvait comme un bâtiment normal, pourvu d’une façade vitrée derrière laquelle se distinguaient des tables semées de couverts.
    Il y entra, prit une formule bon marché, puis patienta en feuilletant un journal acheté quelques minutes plus tôt. Par pudeur, il n’osa pas ouvrir les pages des faits divers. Elles brûlaient ses doigts, pourtant, ces pages dissimulées quelque-part dans l’épaisseur du journal ; il en avait des fourmis jusque dans les coudes mais, jugeant cela indécent, il ne put se résoudre à les ouvrir et remit vivement le journal dans sa poche après avoir parcouru quelques lignes sans intérêt dans les pages sportives. Il le regretta. Il se conspuait pendant son repas, se répétant inlassablement combien il était idiot de prendre cela pour une intrusion dans la vie privée de la ville , et se jurant de les lire, ces pages, mot par mot une fois qu’il serait sorti, de les lire, de les crier, même, de jeter leurs propos à tout vent, de les marteler lettre par lettre, mot par mot, de les lire, ces pages indécentes qui ne lui tiendraient pas tête longtemps, ces pages noircies comme n’importe quelles page, mot par mot, et puis de les relire aussi, et de les apprendre par cœur toutes à la suite pas une n’en échapperait, toutes, et les relire pour pouvoir scander mot pour mot aussi longtemps qu’il le voudrait, jusqu’à ce qu’elles n’eussent plus aucun sens pour lui, jusqu’à ce qu’il n’en comprît plus rien, jusqu’à ce que les lettres se disloquassent, mot pour mot. Son repas fini, il paya hâtivement et bondit dans la rue. Une fois dehors, il ne parvint pas même à sortir le journal de sa poche. Il ignorait pourquoi il éprouvait tant de gêne. N’était-il pas normal que de vouloir connaître les crimes secrets d’une ville ? Celle-ci ne devait-elle pas n’avoir aucun secret pour nous ? Il avait bien souvent lu des chroniques de meurtres, des histoires noires, des atrocités macabres qui s’étaient déroulés dans de lieux tout à fait charmants, dans lesquels il aimait se promener. L’an passé, l’affaire du lacet. On avait retrouvé un cadavre au milieu de bocages en fleurs. Le mystère Honnetot, dans la crique de Seltoubec, où une écume virginale lissait des galets moelleux. Quelques noms lui revenaient. Quelques dates. Un attentat, rue de Rennes. Un pendu dans le Chemin des Iris. Des atrocités qu’il n’avait jamais tout à fait pu faire coïncider avec les lieux dans lesquels elles s’étaient déroulées. Alors pourquoi cette ville ? C’était stupide. Il reprit son journal.
    Et puis non. Il ne pouvait pas. Décemment, il ne pouvait pas, quelque chose au fond de lui interdisait cette aspiration à l’indiscrétion crasse, à la promiscuité extrême qui serait une étape de trop dans sa découverte de la ville, épaisse et mystérieuse. Pas tout de suite, ô candide étendue, Déméter de ciment, mais bientôt, crois-moi, aie patience – il avait cru percevoir un grincement émanant d’une gouttière près de lui –, patience, ma toute belle. Bientôt tu seras à moi, toute à moi, et je connaîtrai tout de tes vices, de tes crimes et de tes catacombes, je parcourrai tes ruelles suintantes de vices, ma toute belle, mon aimée, Byzance au luxes inaltérables, Capoue de mon séjour terrestre !
    Il avait jeté son journal au vent, et il était là, droit, grand, sublime de majesté, il avait envie de crier « je t’aurai ! », de le crier à la ville, aux murs, au béton, de le crier aux passants, de le faire rebondir sur les toits d’un zinc nuptial, « je t’aurai », et tout alors aurait été simple, qui sait, « je t’aurai » et la ville vaincue se serait ouverte, tête basse, et il aurait été son maître, mais il ne put pas, il était trop jeune, trop ébloui, trop écrasé aussi par cette présence sourde et gigantesque. Alors, du bout des lèvres, il lui murmura simplement : « je te saurai ».

    Il resta debout un certain temps, à attendre la réponse des murs devant lui. Mais elle ne vint pas ou, si elle le fit, ce fut pour être emportée par les chuintements des cuivres et les murmures de la rue que martelaient des citadins de passage.
    Il reprit donc sa route en essayant de détailler les passants. En effet, mis à part le tenancier du bar dont il n’avait d’ailleurs aucun souvenir et le serveur du restaurant auquel il n’avait pas prêté attention, il n’avait pas réussi à détailler le visage du moindre citadin depuis la veille, il s’en rendait compte à présent. Tous avaient été cachés, voilés, masqués, éclipsés. Tous s’étaient dérobés à sa vue, et cela était encore vrai en plein jour : les passants, enrobés de pulls à cols ou d’imperméables, surplombés de chapeaux disgracieux, marchaient d’un pas uniforme et rapide, comme s’ils étaient tous également pressés d’arriver là où ils se rendaient. Les yeux fuyants, le visage incliné ou masqué par un journal dont leur marche ne semblait pouvoir troubler la lecture, ils grouillaient alentour sans qu’il pût les voir vraiment. C’était un flot au rythme uni, à la direction unique et au camaïeu beige et brun harmonieux ; un courant humain que le jeune homme remontait avec l’espoir vain de figer le remous d’une vague pour pouvoir apprécier les arabesques délicieuses que l’écume y dessinait.
    Il s’écoula bien une heure sans qu’il ne pût détailler la moindre figure, le moindre sourire, le plus petit trait de vie. Une heure à déambuler au milieu d’une foule monocorde et infinie, comme une longue mosaïque pour laquelle on aurait utilisé sans cesse les mêmes carreaux, une heure à remonter le cours des rues les plus fréquentées et il ne savait toujours à quoi ressemblait un passant dans cette ville, ni même quel air celui-ci pouvait avoir, quels sentiments pourraient se peindre sur son visage, quelles émotions l’avaient sculpté.

    Alors qu’il commençait à désespérer, il eut une intuition étrange et, faisant fi des convenances et de la bonne tenue, se planta net devant l’une de ces ombres citadines. Elle était vêtue d’un pardessus brun au large col surmonté d’un chapeau noir, et lisait un journal qu’il lui ôta des mains dans un geste vif. Et il put alors regarder son visage. L’ombre était une femme. Jeune, la peau mate, le sourire simple, sans rien dans ses traits qui pût indiquer autre chose qu’un bonheur latent et un épanouissement absolu. Il resta devant elle, à la dévisager, un sourire béat sur les lèvres. Et elle le regardait avec autant d’extase, immobile, imperturbable, ouvrant de grands yeux étonnées et satisfaits. Il rit, il rit, c’était merveilleux, c’était parfait, c’était exactement ce qu’il attendait, il eut envie de courir, il courut, sautant parmi la foule, ah ! tous ces visages souriants, épanouis, tous, tous la quiétude dans les yeux, tous le bonheur au coin de la bouche, tous l’ai franc et conquérant. Il courait parmi des passants hilares, s’amusant de le voir s’extasier ainsi, devant des yeux tendres et des lèvres en demi-lunes que la vie semblait mettre en insatiable appétit.

    Essoufflé, il s’arrêta sur un banc, à côté d’un jeune couple. Il se délecta de la vue de tous ces gens autour de lui qui flânaient tranquillement, prêtant attention à chacune de leurs inspirations, désireux de profiter de l’air ambiant. Ils découpaient des ombres calmes sous les rayons d’un soleil doux, et sans doute ne se doutaient-ils pas du bonheur qu’ils lui procuraient à être ainsi liquides et sereins

    Puis il se releva et se mit à flâner, savourant une petite balade au milieu de cet univers diurne souriant et encore redécouvert. Après quelques pas, il se retrouva à nouveau devant les tentures rouges surmontées d’un ixe blanc sur fond noir qui l’intriguait tant. Quoiqu’encore niais, selon l’expression consacrée, il était loin d’être sot, et ne doutait pas un instant de ce que cette boutique contînt des trésors interdits aux charmes voluptueux. Mais pouvait-il, devait-il pénétrer cette barrière ondulante pour aller se baigner dans un stupre dégoulinant de plaisirs ? Pouvait-il se permettre de s’enfoncer si loin dans le désir brut et bestial, lui qui goûtait tout à l’heure la simple joie du soleil saupoudrant les blocs blancs des maisons ? Il ne savait pas s’il devait visiter ainsi toute la ville immédiatement, jusque dans ses plus obscurs replis, ou s’il pouvait se contenter de la découvrir pas à pas, au rythme qu’elle voudrait bien lui accorder.
    « Je te saurai », murmura-t-il distinctement.
    Cela dépendrait aussi de ses finances, et il se rappela soudain qu’il n’avait pas vérifié l’état de son portefeuille. Tandis qu’il le sortait de sa poche, il essaya de prévoir la somme qu’il devait lui rester, rassemblant ses souvenirs quant à la note du bar, de l’hôtel et du restaurant. Il se souvint subitement qu’il avait oublié de payer l’hôtel ! Et personne ne lui avait rien dit ni rien demandé… Il allait falloir y retourner, afin de rembourser sa dette. Il ouvrit son portefeuille, en sortit les billets, les dénombra. Il n’en avait perdu aucun, certes, mais surtout il aurait dû en avoir un de moins, ayant payé le restaurant à l’aide d’un billet, ce midi. Intrigué, il referma son portefeuille, puis en ouvrit la fermeture-éclair de la poche extérieure et se mit à compter sa monnaie. Il découvrit avec stupéfaction qu’il en avait exactement autant qu’à son arrivée, comme s’il n’avait rien déboursé depuis. Il recompta trois fois. Il finit par se dire qu’il avait dû mal évaluer son état financier de la veille, mais sans y croire vraiment. Il lui fallait éclaircir cela rapidement.
    O ville, ô toi, énigme éternelle et grandiose, terra incognita splendide dont les arbres généreux sont chargés de mystères !

    Dans un état paradoxal d’extase et de tourmente, il se rendit dans la supérette la plus proche pour aller s’approvisionner en matériel sanitaire, brosse à dents et rasoir en tête. C’était un petit bâtiment à la façade verte lézardée qui affichait son nom dans une écriture fantasque de grosses lettres blanches. Les portes vitrées automatiques étaient parfaitement propres, à l’instar du reste du magasin, dont la surface réduite était artificiellement doublée par le truchement d’un miroir en recouvrant le mur du fond. Il salua bruyamment les caissières, jeunes filles blondes à l’air fatigué et au regard vide, s’enfonça dans les rayons métalliques à la peinture laquée débordants d’emballages criards, pondéra à voix haute son choix de tel ou tel dentifrice puis, ayant pris brosse à dents, dentifrice, rasoir, blaireau et mousse à raser, ces trois articles alourdissant un sac plastique qu’il s’était procuré à l’entrée ostensiblement tenu à bout de bras, il sortit sans passer par la caisse. Personne ne le retint.
    A peine sorti, il se rendit compte du manque de praticité de ces achats qu’il devait porter à la main. Faisant coulisser de nouveau les portes vitrées, il rentra dans le magasin, prit du bout du doigt un sac plastique pendu à un crochet au bout d’un tapis roulant que surveillait l’une des jeunes blondes, apparemment accablée d’une torpeur pesante, sac dans lequel il laissa dégringoler ses emplettes, puis se redressa et sortit une seconde fois, sans être importuné.
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    Message par Petimuel Sam 17 Mai - 20:04

    J'avais prévu de tout finir avant de retravailler; mais là j'ai changé la structure de la nouvelle et décidé d'avancer certains épisodes, j'en ai donc profité pour tout reprendre intégralement avant de continuer. Aussi vous invité-je à tout relire depuis le début -j'ai modifié les premiers messages- avant que de poursuivre avec le morceau qui suit, que j'ai prévu court pour l'occasion. Mais, promis, le prochain sera autrement plus long. Bonne lecture.

    Il eut envie de s’asseoir pour réfléchir mais ses jambes lui intimaient l’ordre de les dégourdir. Alors, il marcha d’un pas preste, sans savoir où il allait, sans même s’en soucier du reste. Il n’arrivait pas à percevoir la raison à toutes ces boutiques, tous ces marchands, tous ces produits. Pourquoi des caissières qui ne demandaient même pas au client de payer ? Et s’il n’y avait que les caissières, encore – des écervelées, celles-là, l l’avait remarqué au premier coup d’œil ; jeunesse uniforme et décatie passant sont temps à faire des bulles de chewing-gum et à mastiquer de banales histoires d’amour –, s’il n’y avait que ces jeunes ruminantes amorphes capables de laisser une légion entière se procurer les produits de la supérette dans la fraude la plus totale et la plus voyante, cela ne serait pas bien étonnant, mais il y avait l’hôtel aussi, et puis le café où l’on ne semblât pas prêter attention à ce qu’il payât, comme s’ils n’en avaient que faire.
    Un passant, tête basse, perdu dans ses pensées, le heurta de plein fouet et continua son chemin sans s’excuser. Lui-même ne songea pas à s’en offusquer, ni même à s’en étonner, tant il était occupé à méditer la logique de ces commerçants. Et à se ressasser le souvenir de ce portefeuille intact. Il avait jeté l’hypothèse d’une ville débordante de commerces mais dépourvue de monnaie, hypothèse à laquelle il rattachait tant bien que mal ses souvenirs de paiements en se disant qu’il devait avoir omis de payer mais en en ayant un souvenir mécanique, par habitude : comment aurait-il pu concevoir de sortir d’un café sans payer ? Son esprit aurait fabriqué ce souvenir de toutes pièces de bonne foi, selon l’usage.
    Cette idée ne le convainquait pas, ni ne le séduisait réellement.

    Le crépuscule tombait sur les rues étroites parsemées de passants hâtifs à l’air anxieux ; du moins cela se voyait-il à la teinte ocre des murs exposés et à la lumière que diffusaient les lampadaires fraîchement rallumés, car malgré ses efforts il ne parvint pas à distinguer véritablement le coucher de soleil, masqué par les hautes bâtisses de la ville, les câbles aériens, et les fumées que rejetait au loin quelque complexe industriel. Toujours perdu dans ses réflexions, il cherchait un lieu pour passer sa nuit. Il s’arrêta à la première enseigne électrique lui annonçant un hôtel, y pénétra, puis demanda à l’homme qui était à l’accueil, petit homme d’une quarantaine d’années, propret et bien coiffé, quelle chambre était libre et de lui en donner la clef. Une fois celle-ci en poche, il gravit deux étages, chercha son numéro puis entra dans sa chambre. C’était une petite chambre avec un lit unique aux draps jaunes, un téléviseur, un téléphone, une pièce pour les toilettes et une autre pour une douche tendue de draps vernis bleu sombre avec des motifs marins tels que des poulpes et de petits bateaux. Jetant son sac plastique sur le lit, il alla aux toilettes. Mais pourquoi des vendeurs qui offraient au lieu de vendre ? se demandait-il toujours alors qu’il revenait vers son lit pour y ouvrir son sac, en saisir la savonnette, et repartir vers la douche. Ils les ont bien achetés à un fournisseur, ces produits. Il se rendit compte que la douche était déjà pourvue de shampooings, gels et savons liquides de toutes sortes. Fort bien. Il déposa sa savonnette sur l’évier puis entra dans la douche et tira le rideau. A moins que les grossistes ne les offrissent eux aussi gratuitement. L’eau chaude que déversait la pomme de douche, fruit juteux et indispensable, béni soit son arbre, lui était extrêmement agréable. Il se savonna avec plaisir. Mais ces fournisseurs et ces grossistes ont acheté leurs produits à des producteurs, à moins une fois encore, que les producteurs ne fissent leur travail gratuitement.
    Il sortit de la douche et saisit une serviette. C’était quand même trop gros, cette histoire. Il n’y croyait pas. Après s’être séché il se brossa longuement les dents, puis, satisfait, se déshabilla et envisagea d’aller rejoindre ses draps. Mais il fit un détour par la fenêtre pour aller voir le ciel. Il n’y en avait pas. L’immense toile noire qui recouvrait la ville était à peine ponctuée d’étoiles discrètes, et il ne parvint pas à voir la lune –mais peut-être sa fenêtre était-elle mal située -. Il était déçu, comme il avait été déçu par le crépuscule, tout à l’heure. Il aurait aimé pouvoir admirer l’embrasement de l’astre, spectacle majestueux qu’il appréciait particulièrement, assis sur le bord d’un falaise ou sur le faîte d’une colline. Il lui était arrivé de se demander ce que cela aurait été en ville. Il s’était alors imaginé le soleil déversant sa soie rouge sur un paysage tapissé de maisons, splendeur d’un ciel brûlant qui aurait bordé l’humanité. Eh bien, non. Ou alors, si c’était le cas, il lui aurait fallu grimper sur un bâtiment particulièrement haut qui surplomberait la ville.
    Gagnant son lit, il commençait à penser qu’il regrettait un peu l’Ailleurs, après tout plus poétique. Les mystères de la ville étaient énigmatiques à souhait mais, au fond, trop matériels, trop prosaïques. Il préférait s’interroger quant à la splendeur de l’astre d’or ou les formes étranges que prenaient les nuages. Ici la question était celle de l’argent, quoi qu’il n’en fût jamais question. Certes, sous ses pieds, les néons devaient être allumés, de présent. Il lui aurait suffi de descendre de l’hôtel pour retrouver les flots de lumière qui l’avaient transporté à son arrivée. Oui mais pas envie.
    Il se rendit compte soudain qu’il n’avait pas mangé. Son ventre en profita pour se manifester douloureusement. Que faire ? Se rhabiller, descendre et trouver un restaurant ? Non, tant pis. Dormir. Il gesticula un peu puis s’assoupit avec en tête l’image rassurante du ressac de l’océan.

    Sa faim se réveilla avant lui. Dès que le premier rayon de soleil vint lui baiser les yeux, son ventre se mit en branle, toutes griffes dehors, pour lui faire rattraper le repas sauté de la veille. Il se força donc à descendre du lit, se brosser les dents derechef, s’habiller en hâte, rassembler ses affaires puis dévaler dans la rue. Les maisons fourmillaient des teintes jaunes et roses qu’exhalait le matin naïf, et les passants mal réveillés qui se hâtaient dans les rues voyaient leurs nez et leurs manteaux colorés de la même manière, comme un baume parfumé et charmant. Ca avait du bon, allez, même si ça ne valait pas les aubes timides perçant les frondaisons et souriant sur la mer.
    Il entra dans un petit café propre et bien éclairé, croisa un serveur en vêtement de serveur avec un visage de serveur, les cheveux bruns et courts, le nez saillant, le sourire figé, les yeux vifs, et lui commanda un café et une montagne de croissants. Il eut le plaisir, en s’installant devant une petite table ronde de découvrir un tableau champêtre en face de lui. C’était un tableau tout en longueur, peint dans des camaïeux de verts, avec des touches vives de jaunes, de bleus et de violets. Une maison e campagne, à gauche de la composition, avait un toit ocre effacé par des massifs de glycines et de chèvrefeuille. Tout le reste s’enfonçait dans un bois accueillant, pointillé de touches claires sur un fond de vert sombre et de troncs bruns. Des fleurs bleues, jaunes et rouges se distinguaient au pied des arbres. Ce n’était pas une grande œuvre mais l’ensemble était charmant, et eut le don de l’apaiser tandis qu’il dévorait ses croissants.
    L’heure avançait et le café, à son arrivée pourvu de quelques clients, se vidait. Bientôt, il fut seul, avec le garçon qui attendait, tranquillement, sur une chaise derrière le comptoir. Il finit ses croissants, puis se leva et prit le chemin de la sortie. Aussitôt, le garçon en fit de même : se leva, ôta son tablier, mit son chapeau et lui emboîta le pas. Ils sortirent tous deux, et le garçon ferma derrière lui. Au moment où il se retourna pour aller se fondre dans la foule, il se passa quelque chose d’extraordinaire : ses traits, subitement, se métamorphosèrent : son nez s’aplatit, son sourire devint plus franc, ses cheveux poussèrent un peu et perdirent de leur brillant, son regard devint plus vague, ses vêtements même changèrent de couleur ; et, quand il fut devenu un parfait passant, il avança dans la rue et se dilua effectivement dans la foule.
    Le jeune homme restait devant la porte, stupéfait, un large sourire adressé à la Ville éclairant son visage. Il venait de comprendre.
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    Message par Petimuel Dim 1 Juin - 13:33

    L’aube était jeune encore, et teintait de rouge les rayons calmes qui chauffaient l’atmosphère tandis qu’il marchait le long d’une petite ruelle piétonne qui serpentait entre les maisons, les yeux mi-clos. Annoncé par un fracas mélodieux et lointain, un groupe d’enfants en délire survint en face de lui, entouré de rires, le dépassa dans une déferlante de tumultes et de joies, puis disparut dans son dos. Il continua d’avancer, seul dans cette rue qui s’offrait à lui. Insensiblement, il se faisait dériver jusqu’à effleurer les mur de son bras ballant, laissant les articulations de ses doigts se couvrir doucement de chaux blanche et d’écorchures fines, et même bénissant ces marques de rigueurs que lui infligeait la Ville enfin dévoilée.
    Il marchait, voyageurs exalté, tout doucement marchait, caressant les gouttières tordues qui ronronnaient avec de légers grincements, effleurant les parapets devant les petites fenêtres aux vitres battantes, laissant dégringoler ses phalanges contre les portes avec une rumeur enjouée, le regard vague glissant sur les volutes de protozoaires qu’exhalaient les pavés humides sous le souffle du soleil, il marchait, tout doucement marchait en récitant dans un murmure un poème qu’il inventait au fur et à mesure, sans aucune cohérence interne mais débordant de bonheur. Le poème s’acheva bien vite, tant il préférait laisser parler le soleil, liqueur vaporeuse et délectable, et la Ville dont les cent murmures l’incitaient à continuer sa caresse, à aller plus avant, à ne plus se contenter de se meurtrir les phalanges contre ses murs épanouis. Il la caressait avec la paume, alors, laissant sur les murs son empreinte souple et doucereuse, accueillie par un vrombissement excité, des grincements de zinc émanant des gouttières et le pépiement furieux des volets battants. Des pans de rideau même allaient danser sous ses yeux, animés par un souffle surnaturel provenant de l’intérieur des maisons.
    Il s’arrêta, dans le vent et dans l’aube, appliqua fortement sa main contre un mur, le pressa, la pressa, et la main et le mur serrés dans un même mouvement, par un même mouvement unis, et les volets battaient, et les rideaux soufflaient en l’honneur de cette union formidable, et le vent s’égosillait, et dans la rumeur ambiante et le mur et la main semblaient se regarder et se sourire l’un à l’autre.
    Il était seul à présent, seul avec l’immensité urbaine qui lui répondait en tout point, qui se muait au gré de ses passions pour devenir lui-même, seul avec la Ville pour avoir enfin compris qu’il était seul, qu’il avait toujours été seul avec cette amante formidable et les projections de ses états intérieurs qui prenaient l’apparence de passants, monocordes et unis. Il souriait, ce jeune homme enfin livré à son amour entier, plein, universel et indivisible, seul enfin, seul il souriait, et caressait la pierre de ses doigts déliés.
    Alors, la Ville et lui firent l’amour. Des ondes répétées couraient se fracasser sur les arêtes des maisons, s’entrecroisaient et se disputaient, arrondissant leurs angles, bousculant leurs coins, chantant par leurs cris vifs l’amour éternel qui faisait se rejoindre ces deux êtres jeunes et aimants. C’était un matin et c’était une nuit, l’aube tombait des étoiles accompagnée de courbes de plaisir évanescentes qui venaient les entourer, imitant vainement des lambeaux de vêtements colorés. O eux qui s’aimaient et s’unissaient, le jeune homme et la ville, et la pierre était molle soudain pour venir se fondre en sa peau, pour l’accueillir, pour le caresser, pour lui ronronner leur amour, et la pierre était molle et l’air était dense, et lui s’envolait sans même s’en apercevoir, allant embrasser de bond en bond des quartiers éloignés, reliant la tour hertzienne au clocher, le clocher à la boulangerie, l’enseigne sobre de l’échoppe aux nuages incandescents qui rêvaient dans le ciel et projetaient leurs reflets vifs dans ses yeux aveuglés, ô eux, ô leur tendresse, ô les râles amoureux qu’exhalaient les métaux agités dans une déhiscence langoureuse et sonore, chanson douce à son ouïe, murmures de la pudeur aimante, soupirs d’extase qui se décrochaient goutte à goutte dans une note claire, ronde et nette, ô ces flûtes qui ponctuaient son évolution fantasque, parachevant la distorsion de leurs espaces et de leurs temps, longs, souples, élastiques, infinis mêmes, réglisses enroulés sur eux-mêmes qu’ils pouvaient savourer éternellement ensemble, bouche contre bouche, vitre contre lèvre. Il revit, voyageur autour de qui se superposaient des paysages fantastiquement différents, la quintessence de sa jeunesse enfuie, l’ombre de la mer et le bruit de l’asphodèle, la chaleur du soleil et la caresse de la pluie, il retrouva d’un coup toutes ces émotions qu’il regrettait hier, lesquelles venaient se coller à sa peau, fondre, doucement fondre dans sa peau et le pétrir tel qu’il n’avait jamais cessé d’être, un homme de l’Ailleurs amoureux d’une ville qui retrouvait son enfance à travers les fenêtres béantes et derrière les nuages transpirant des perles d’éternité. O les premières passions ! Ils s’enlaçaient, s’entrelaçaient, beaux dans leur amour, pareils dans leur union, deux êtres identiques par le cœur qui faisaient battre leurs jeunesses l’une contre l’autre, et c’était chose étrange mais sublime chose que de voir cette fusion indescriptible entre l’homme et son œuvre, et qu’ils s’aimassent, et qu’ils fissent l’amour, et lui la pénétrant, elle le recevant, dans toute la nudité de ce ciel saturé d’infinis.

    Les jours suivants étaient pétris de sucre ; éternel, béni et désiré recommencement du bonheur total et partagé qu’ils connaissaient l’un avec l’autre. Ils se connaissaient et se reconnaissaient, elle et lui, et n’avaient plus besoin de s’encombrer de masques de d’intermédiaires, non plus que de passants au milieu des rues qui lui étaient désormais toutes offertes, fruits lourds et parfumés qui ne demandaient rien tant que de se faire avaler. De fait il les mordait, longuement, et se délectait de leur saveur, et les léchait aussi, les caressait d’un geste souple qui les faisait frémir.
    Ils avaient abattu les vaines façades et les faux semblants, tout lui était ouvert, tout lui était acquis ; tout était à lui et il était tout à elle. Chaque soir il couchait où il voulait, tant qu’il dormait en elle, préférant tel ou tel quartier au gré de ses fantaisies, et toujours elle s’arrangeait pour lui avoir composé une chambre neuve selon son désir mais ornée d’un peu de son décor, d’un peu de son ailleurs, que ce fût un tableau, une lumière ou une odeur particulière. Sa surprise, sa délicieuse surprise le jour où sa chambre sentait le sel ! Les murs alors résonnaient du roulis de la mer ; il dormit ce soir là dans les bras de sa Ville comme dans ceux d’un bateau, large et majestueux, ivre de majesté. La nuit suivante il retrouva ses montagnes mordorées ponctuées de nuances bleues, pourpres et blanches, et il sentit presque ses narines s’emplir de pensée, de bleuet, d’orchidée et de coquelicot, mêlés aux branchages humides et aux fraises sauvages.
    Il eut le courage toutefois de lire dans un journal la page des faits divers, et s’effraya de leurs atrocités. Il découvrit avec dégoût que sa Ville aimée s’employait parfois avec beaucoup de malice à organiser elle-même un supplice abominable sur quelqu’un qu’elle avait créé pour l’occasion. Il vit d’un œil inquiet les ruelles délabrées aux lampadaires vacillants qui s’ouvraient parfois sur des obscurités affolantes. Jamais elle ne lui aurai fait de mal, mais qu’elle pusse aimer le mal, fait à quelqu’un d’autre, le révoltait un peu. Mais il l’aimait. Alors, soit. L’amour teinte le noir le plus profond de couleurs affriolantes.
    O absence de tout but, de tout objectif, de tout principe, ô cours reposant des jours d’évidence, quand l’amour est seul à créer ses remous, quand la vie tout entière s’écoule dans son lit ! Tout était simple alors, quand il suffisait d’aimer pour se lever le matin, d’aimer ses draps, d’aimer sa chambre, d’aimer le ciel que sa compagne avait tendu pour lui, tendrement, amoureusement, dès les premiers rayons du jour qu’elle avait elle-même fait naître.
    Il descendait le matin dans un café choisi au hasard, et toujours était accueilli par un doux bruissement des tentures, toujours par un café chaud tenant compagnie à un croissant au beurre sur la seule table existante, seule trônant au milieu de la pièce, et toujours il buvait en adressant des mots doux aux zincs rutilants et aux carrelages tièdes, qui ronronnaient tendrement. Il buvait et mangeait, puis nettoyait sa tasse dans l’évier, quoique cela ne fût pas indispensable, la ville le pouvant faire pour lui ; mais il aurait été gêné de laisser en sortant de la vaisselle sale et des tas de miettes encore sur la table. Alors, tendre, poli, machinal, il nettoyait sa tasse, longuement, minutieusement, heureux de faire quelque chose d’utile, heureux aussi d’oublier leur amour pendant quelques minutes, afin de ne le retrouver qu’avec une joie accrue. Ses gestes étaient lents et souples, il laissait l’eau couler sur ses doigts tout en frottant, puis prenait l’éponge et allait essuyer la table encore constellée des miettes de son croissant. Il les attirait vers le bord et les laissait dégringoler dans sa paume ouverte, puis se dirigeait à nouveau vers le comptoir et s’en débarrassait dans la poubelle, avant de rouvrir l’eau et de se laver les mains. Après quoi il sortait.
    La force et le délice de leur amour auraient suffi à les aveugler pour quelques éternités, mais la Ville faisait tout de même de nombreux et réguliers efforts afin qu’il ne s’ennuyât pas. Elle changeait sans cesse de parure, maquillant ses toits dans des tons vermeils un jour puis verts le lendemain, avec le sourire naïf de la jeune aimante qui s’efforce de plaire. Quoiqu’il passât ses journées à explorer sa maîtresse, il en découvrait, sans cesse de nouveaux attraits, ou de nouveaux endroits. Il s’émerveillait de trouver une vue splendide qu’il n’avait jamais rencontrée sur le faîte de l’église, puis une autre plus belle encore sur un immeuble de quartier, s’amusait en découvrant une mince impasse écrasée entre deux pâtés de maison qu’il n’avait pas remarquée en passant devant à plusieurs reprises, et savourait sa visite, marchant lentement dans cette petite ruelle sombre et charmante, en détaillait chaque fenêtre, et chaque fleur serpentant entre les pavés. Parfois, tendre et espiègle, elle lui jouait des tours, inversait les rues, créait des labyrinthes qu’il s’amusait à parcourir, ou bien le prenait dans ses bras et le faisait voler au-dessus de toits.
    Tout lui était ouvert, il pouvait rentrer le soir dans n’importe quel restaurant et annoncer son menu à voix haute ; les machines alors se mettaient en route et les ustensiles de cuisine s’agitaient d’eux-mêmes pour le satisfaire. Elle savait particulièrement bien préparer le sabre, le hachis parmentier et le risotto. Elle essayait de réussir son bœuf bourguignon, mais avait des progrès à fournir. Ses gâteaux étaient toujours délicieux. Il la remerciait souvent d’un baiser au coin d’un carreau ou d’une caresse sur un tissu, nappe ou rideau, après s’être lavé les mains et essuyé la bouche, ce qui donnait à ses lèvres une fraîcheur humide qu’elle semblait apprécier.
    Parfois, alors qu’il se promenait paisiblement dans la rue, une longue branche d’arbre, une traînée de feuilles ou un rideau envolé venait lui caresser l’épaule avec un invisible clin d’œil, sorte d’invite sensuelle qui l’attirait irrésistiblement vers les murs, ou dans un bâtiment quelconque parfois, de leurs secrets ébats réceptacle et acteur. Souvent ce stupre charmant, souvent cette concrétisation de leur passion, souvent ces baiser, ces caresses et ces râles ! Leur désir commun était irrésistible, insatiable, ils s’aimaient beaucoup et s’aimaient souvent, découvrant sans cesse de nouvelles expériences, et de nouvelles façons de se faire l’amour, la morphologie changeante de la Ville offrant des possibilités innombrables et inouïes. O candeur, ô naïveté des amours balbutiantes ! Ils s’aimaient physiquement, eux si différents, et n’avaient nulle honte, jamais, jamais nulle gêne à se représenter leur amour ; ni lui qu’il couchait avec une ville, ni elle qu’elle aimait un jeune homme.
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    Message par Petimuel Dim 1 Juin - 13:53

    Un matin toutefois, il sentit quelque chose d’étrange. Tout était coutumier pourtant ; sa chambre était parfaitement décorée, la porte l’avait embrassé quand il était sorti ; une fois en bas il avait trouvé un café ouvert, lequel possédait une table naturellement unique avec son petit déjeuner habituel. Mais, quoi, quelque chose n’allait pas. Le ronronnement du zinc sous ses caresses était un peu métallique, lui qui d’habitude était doux et cotonneux. Il avait presque cru entendre la porte émettre un grincement, bien vite étouffé, lorsqu’il était entré dans le café. La ville, enfin, n’eut pas l’air d’apprécier beaucoup son baiser après qu’il eut fini de manger. A l’évidence, elle avait l’esprit ailleurs.
    Il sortit, puis, selon son habitude, alla se promener au hasard des rues. Il déambula devant des successions de maisons agrémentées d’un jardin ocre, aux fleurs fanées et aux feuilles mortes. Les portails étaient souvent grinçants. De la rouille s’insinuait partout.
    Il entra dans l’une d’elles, écrasa des paquets de feuilles en traversant le jardin puis ouvrit la porte verte en bois peint pour découvrir un petit vestibule aux murs blancs donc la peinture était écaillée, avec un carrelage froid en fins croisillons de tons bleus clairs et bancs. Un escalier, sur la gauche, s’envolait au premier étage. Un radiateur à la peinture grumeleuse s’adossait contre lui. Il continua d’avancer et pénétra dans un salon sobre, en parquet, agrémenté d’un tapis azuré et d’un mobilier fourni sur lequel s’entassaient plein de petits bibelots. Sur le tapis, une chaise, une table avec un verre d’alcool. Il s’assit calmement, contempla le verre. L’heure était donc au discours. Par le radiateur et le mouvement des tuiles, sur le toit, il entendit que la Ville se rengorgeait. Intimidé, il essayait de savoir ce qui allait lui arriver, jeune étranger qui avait beaucoup connu la Ville mais qui ne la comprenait toujours pas. Le trouble de l’alcool le fascinait. Marrant, cette couleur. Un peu orange, un peu ocre, mais toujours liquide, comme insaisissable. Des ondes couraient dans ses moires, en volutes ineffables. Boire pour oublier ce qu’il n’avait pas encore entendu… Oh ! Et puis tant pis ! D’un mouvement vif, il projeta le verre sur le tapis bleu dont la teinte virait au cramoisi aux endroits qui avaient reçu de l’alcool. Que pouvait-il lui arriver, de tout façon ? Cela faisait quelques mois seulement qu’ils s’aimaient ; autant dire une éternité, autant dire rien du tout. Ils commençaient à peine ce qu’ils faisaient depuis toujours. Coudes sur la table, il enfouit sa tête sous se mains.
    La Ville se taisait. La pièce était silencieuse et obscure, seule une fenêtre brillait dans le mur du fond. Il n’osa pas bouger pendant un long moment. Mais rien ne se produisit, sans qu’il ne sût pourquoi. Peut-être avait-il brisé le cérémonial en renversant le verre d’alcool. Eh bien, soit. Il était résolu à ne point remplacer son ivresse amoureuse par une autre, artificielle. Il n’avait pas besoin de cela pour l’aimer, le savait-elle ? Et si elle avait quelque chose à lui dire, elle le lui dirait de toute façon. Il se leva, évita de marcher dans les taches d’alcool, et sortit.
    Il tressaillit en voyant que le décor avait changé, devant la maison. Son ébahissement ne dura que quelques secondes, pour laisser place à de l’affolement. Il courut jusqu’au portail, l‘ouvrit violemment, et constata avec douleur qu’il avait bien vu : les murs latéraux du jardin se prolongeaient indéfiniment, flanquant une route noire et droite qui avait pour destination évidente l’extérieur de la Ville. Ainsi, c’était l’exil. Mais comment ? Comment avait-elle pu décider cela ? Il ne comprenait pas, ne cherchait pas à comprendre. Son visage était un masque de douleur, et tombait lourdement en avant, emportant son buste avec lui. Ses poings seuls, accrochés aux barreaux du portail l’empêchant de tomber, il semblait un de ses suppliciés antiques accrochés à des instruments de torture délirants. La spontanéité de ce revirement lui avait ôté toutes ses forces. Plus rien tout d’un coup, plus de murs, plus de tableaux, plus de caresses sur son épaule. La veille encore, ils s’aimaient d’un amour jeune et absolu, et maintenant des grincements de portes et cet exil, définitif, incompréhensible. Se pouvait-il que plus de baisers, soudain ?
    Ses traits se tordaient, son visage rougissait ; il lançait parfois quelques hoquets violents et ridicules dont il avait un peu honte, ce qui redoublait son désespoir.
    Dans un accès violent, il se redressa et se précipita en sens inverse, jusque dans le salon, qu’il traversa en deux enjambées pour aller s’écraser contre la fenêtre du fond. Une sortie, peut-être ? Non, hélas, pas de poignée. Il s’arrêta, bras ballants, anéanti soudain. Bêtement, il regardait dehors, à travers cette fenêtre. Une rue droite aussi, saturée des lumières multicolores que dardaient les enseignes joyeuses. Un homme, au milieu, avançait d’un pas sûr. Son remplaçant, visiblement.
    Un éclair lui traversa le visage, révulsant ses yeux, tendant son nez, écrasant son menton, nouant sa gorge, et plus loin encore jusqu’à ses pieds. Alors voici l’autre. Il arrivait alors il partait. Lui. Elle l’avait aimé et tout d’un coup elle l’aimait lui, alors on devait le balayer, sans trop déranger. Alors il partait, comme la poussière que l’on fait disparaître par la porte de la cuisine.
    Soit.

    Péniblement, il se retourna et se mit en route, sous une nuit triste et calme. Il avait bien vu pourquoi il lui plaisait, cet homme. Il marchait lentement, dépassant des entassements de maisons aux volets clos et aux gouttières silencieuses, sombres masques flanquant sa route qui essayaient de ne point se montrer méchants avec lui, ce qui ne le faisait pas moins souffrir. O serrures fermées, portes closes ; ô rideaux tirés de l’intérieur sur le spectacle de ce pauvre homme que la Ville régurgitait ! Macabre haie d’honneur, les fronts bas et pénibles, le chapeau à la main, les paupières tremblantes mais fermées avec force ! Il lui plaisait parce que c’était un salaud, voilà. Il avançait lentement, mais ne voyait qu’à peine les maisons qu’il dépassait, toutes uniformisées, rangées, ordonnées, bâtiments mécaniques élevés pour accompagner son exil jusques à Ses frontières, parade artificielle, grimace neutre que la Ville s’efforçait d’adopter pour adoucir son départ, pour ne point faire de scène, parce qu’il avait été gentil. Gentil, doux, aimant, et autres synonymes qui vont bien, oui, alors que l’autre n’était rien qu’une pourriture. Sur son passage, quelques bibelots émettaient de légers gémissements, comme des excuses finalement ; des gouttières lui disaient combien elle avait été heureuse avec lui, des poubelles laissaient entendre qu’elle regrettait son départ. Oh si, parfaitement, un salaud ! Il l’avait lu dans la flamme sombre qui faisait luire son regard doux. Des gens, à présent. Quelques personnes, assises sur des volées de marches, qui à son passage s’approchaient pour le réconforter et lui frapper l’épaule. Envolez-vous, charognards ! Plus jamais elle contre cette épaule, plus jamais un tourbillon de feuilles pour lui signifier son désir ! Un salaud, oui, une ordure, un abominable type capable d’aller fouiller dans ses allées obscures, capable d’égorger des passants, capable peut-être de lui faire du mal à elle qui ne demandait que cela, elle que ses tortures feraient jouir d’un orgasme malsain ! C’était cela, c’était cela ! Et lui rien, lui gentil, lui propre, lui jamais dans les ruelles sombres à étrangler les lampadaires ou éviscérer un passant, exclu pour sa douceur, et merde ! Comme ça, d’un coup ! C’était accablant, c’était… oh…
    Il se laissa tomber contre une vitrine ternie, s’étendit sur le trottoir sale. Plus de courage, plus de forces. Tant pis pour les immondices. Lui toujours propre… toujours gentil, oui… quel salaud…
    Levant difficilement ses yeux, il comprit du premier coup d’œil qu’il était déjà à la frontière. A moitié hors de la ville. Il sentait sur son dos le poids des lumières qui fêtaient l’arrivée du nouveau conquérant. Bientôt, des extases et des grincements, pareils à ceux de ressorts de lit. Il avait mal au ventre.
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    Message par Gotch Dim 1 Juin - 14:39

    Mmmmmm c'est du nanan ce texte! J'MJ'MJ'M! Cela me rappelle Philip K. Dick! Ou un bon Gérard Klein.... Un tel talent ne devrait pas rester sous le boisseau.

    En tout cas, voilà le thème central d'une magnifique nouvelle à publier.
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    Message par Petimuel Dim 1 Juin - 14:57

    Dame, je n'entends pas ce commentaire! ^^ C'est quoi du "nanan"? si c'est comme "gnagnan", alors certes ça débute guimauve mais le véritable thème du texte n'est pas celui de l'amour. Mais tout ça se développera par la suite.
    Enfin ça ne doit pas être ça...

    Merci en tout cas d'avoir pris la peine de lire tout ça Smile Et merci pour ces compliments...


    Dernière édition par Petimuel le Jeu 9 Oct - 20:31, édité 1 fois
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    Message par Petimuel Jeu 5 Juin - 22:51

    La fin approche...

    Il ne prit le chemin du retour qu’à pas comptés. Centimètre par centimètre. Il avançait d’une rue par jour, s’il en avait le courage. Parfois moins. Il dormait dans un hôtel onéreux et délabré s’il en trouvait un, sans quoi il se laissait prendre par le sommeil à l’endroit même où il s’était effondré : contre un lampadaire, un parapet, un sac poubelle ou à même le trottoir. Une nuit même, il se laissa choir au beau milieu d’un passage clouté, et des heures durant ses yeux cernés et huileux essayaient d’accrocher assez fort le petit bonhomme vert incandescent pour pouvoir se hisser comme à une corde qui les relierait au feu, pour pouvoir le soulever, lui, immense masse molle et décomposée peinant à se mettre en branle, et parfois même ils semblaient, réussir : les épaules tressaillaient, les paupières ne faisaient pas d’histoire, les jambes remuaient un peu, ses paumes se décidaient à s’étaler au sol de manière à lui servir d’appui, et tout d’un coup le feu passait au rouge et tout espoir s’évanouissait.
    Abominable et long râle, râle silencieux et latent qui berçait ces jours de pluie! Il passa des jours dans une suffocation perpétuelle, comme s’il lui manquait un poumon, à regarder en gémissant sa Ville qui s’offrait à l’autre, sans pudeur, sans vergogne, dans des soupirs aigus, souffles hybrides mêlant la douleur à la jouissance, expression déchirante d’une extase malsaine, plaisir tiré de l’eau cloquée des plus bas fonds, des plus bas instincts, plaisir arraché au corps meurtri dans un élan artificiel et goguenard, touts crocs dehors, babines pourléchées au vermeil saturé, trop rouge, trop lumineux, trop forcé pour être vrai, trop éclatant pour n’être pas l’expression cramoisie de la perversion volontaire, forcée peut-être, s’inventant du plaisir comme prétexte pour aller sans gêne fourrer le nez dans ses propres obscurités, dans ses propres douleurs, dans la quintessence des vices du monde qui sont fascinants parce qu’interdits, plaisir terrible en un mot, plaisir artificiel, plaisir grinçant des vapeurs d’alcool et de sang, plaisir dégoûtant, plaisir qu’il vomissait, lui, échoué contre un sac poubelle crevé, poilu, pouilleux, sale, gémissant et hoquetant, lui horrifié, déchu, lui toujours propre et lui toujours gentil. Combien de mots auraient pu se bousculer dans son esprit, combien d’injures auraient pu lui jaillir de la langue devant ce spectacle dépravant ! Combien de noms auraient mérités ces coïts répugnants, injures à la dignité autant qu’injures à l’amour, blessures noires infligées à la passion et à ses suivantes ! Mais il n’en pensa pas un, il n’éleva jamais la voix ni la pensée contre cette déesse aux ailes noires qui ne cessait pas de luire devant ses yeux, ce temple profané dans lequel il avait déposé son âme et son cœur pour n’en jamais les sortir. Cette Ville, c’était lui désormais. Il s’y était trouvé tout entier, accroché aux murs, descendu les rues, s’envolant des cheminées. Il s’y était trouvé et s’y était transcendé, se gorgeant de toutes les fantaisies de cet être béni, de cet être aimé ; la fusion qu’ils opéraient parfois physiquement, elle s’était aussi produite spirituellement : il s’était imprégné d’elle, de son caractère, de ses maladresses et de ses folies ; ses ruelles sombres même il s’était montré parfois disposé à les accepter, et il s’en rendait mieux compte à présent que se dessinait sous ses cieux l’affligeant spectacle de la décadence, car il l’aimait toujours, de tout son cœur et de toute son affection, et il était prêt à tout lui pardonner, jusqu’aux orgasmes sonores et malsains, pourvu qu’elle cessât de recevoir en elle cet homme, caricature d’elle-même qui ne lui ressemblait pas, pourvu qu’elle redevînt seule, pleine et entière dans son universalité et sa grandiose beauté, pleine et seule et le laissant partir tranquille, heureux de savoir sa moitié quelque-part encore telle qu’il l’avait connue.
    Il demeura longtemps au milieu de cette bouillie de rues, à l’agonie, mourant devant la dégradation régulière du rêve qu’il venait de vivre. Il souffrait non pas de savoir son Amour ainsi perverti mais de voir cet inconnu, ce salaud d’inconnu essayer de souiller son image, comme une photographie que l’on aurait grimée sous ses yeux, alors qu’il avait encore en tête la limpidité et la pureté du visage de son modèle. Une part de son esprit pourtant essayait de lui faire prendre conscience de la véracité des faits, une autre tenait de le ramener à la raison, à la quiétude et à la maison, une troisième enfin s’horrifiait de voir cette image aimée et bénie barbouillée de vices, et de cette lutte il avait à peine conscience, cadavre hébété qui voyait dégrader une moitié de lui-même, celle des deux qu’il affectionnait le plus.

    Il se résolut à partir, pas à pas, ainsi lentement s’en aller sans rien manquer de ses démons effroyables. A mesure qu’il s’éloignait d’elle, il gagnait plus de forces, et pouvait tenir debout, et s’adressait à elle, les mains jointes souvent, et lui demandait de cesser, et lui demandait d’être heureuse, lui disait qu’il lui pardonnait, qu’il lui pardonnait tout, qu’il lui avait toujours tout pardonné, lui disait qu’il l’aimait, encore et toujours et plus fort même que jamais, lui soufflait des mots doux, écartait les mots durs, l’appelant tendrement par son nom véritable et respectable, intitulé géographique que connaissait la première carte routière venue, ne mettant entre eux quelque distance que pour mieux la recouvrir de paroles caressantes et vaines. Il lui disait combien il était elle, combien elle ne pouvait qu’être lui, qu’elle ne se ressemblait pas. Il passa des heures à lui détailler sans hâte l’ensemble des grands sentiments et des petits détails dont il s’était nourri chez elle, dont il s’était si fortement imprégné qu’on ne l’en pouvait plus l’en séparer sans qu’il n’eût l’impression qu’on lui arrachait une partie de lui-même. Il lui expliqua dans des adresses folles et désordonnées qu’à présent qu’il les quittait, il savait mieux le prix qu’avaient pour lui ces délices minimes pour lesquels il l’aimait et desquels il ne pourrait se passer ; il lui dit enfin toutes les sottises qu’invente un cœur effarouché parce que, jeune et innocent encore, il s’était construit sur le sentiment et croyait s’être construit sur son objet. Il lui parlait en même temps qu’il reculait, comme pour déguiser son départ, comme pour se convaincre qu’il ne l’abandonnait pas.
    Peu à peu tout de même, au moyen de fortes compressions de son cœur, de purges, de batailles, de sacrifices et de soumissions, il parvint à se faire à l’idée qu’il pourrait trouver du bonheur ailleurs, en d’autres villes peut-être. Et il reculait, muet, silencieux, hébété, il reculait encore au des rues telles qu’elles se présentaient.

    Il n’était plus très loin de la frontière de la banlieue le jour où, triste et décomposée, pour la consoler uniquement, elle sembla lui demander de revenir, par des grands signaux électriques dégoulinants de larmes. Il revint. Il revint d’un pas leste, joyeux, gommant d’un coup tout ce qu’il avait résolu dans sa retraite, n’en laissant que l’empreinte en relief mais invisible aux ignorants, il courut jusqu’à retrouver de nouveau ce qu’il estimait être devenu sa moitié pour avoir passé quelques mois avec elle. Il courait, courait après des semaines de reptations et de gémissements, et, ses muscles se dégourdissant, son souffle grandissant, il se sentait aller mieux, et rendit honneur à la Ville pour cela, ne doutant pas un instant que ce fût son appel qui emplit ainsi tout son corps de joie. Il atteint enfin la même rue que lors de sa première arrivée, la même, et pourtant si différente déjà, si différente et si reconnaissable qu’il ne saurait dire si elle état altérée concrètement où à ses yeux uniquement. Il déambulait à nouveau sous des voûtes tressées de lumières et de couleurs, mais plus clairsemées, plus fades lui semblait-il, moins aguichantes, sémaphores coutumiers qui allumaient leurs feux pour guider un bateau connaissant déjà son chemin. Il y déambula, heureux tout de même de retrouver ces quartiers qu’il avait chéris, ces maisons qu’il avait connues.
    Il traversa des parcs démantelés aux arbres courbés, aux eaux troubles, aux herbes éméchées, à la terre vallonnée de manière chaotique et artificielle, il rencontra parfois quelques rues délabrés, il dut enjamber à plusieurs reprises des portes sorties de leurs chambranles pour aller agoniser dans la rue, il vit des carreaux fendus et des barils percés, d’innommables désordres à l’intérieur des cafés, des toits à demi effondrés et des cheminées brûlantes. Il vit déchirés les rideaux pourpres du magasin érotique, et son intérieur en désordre.
    Il l’avait quittée sans crier gare, sans lui avoir jamais dit qu’elle n’était qu’une étape sur la route qu’il suivait pour rejoindre une autre ville. Il, l’autre, il avait eu le temps de profiter d’elle, de jouir d’elle, de se livrer sur elle à toutes ses entreprises de saccages, d’exalter tous ses fantasmes et tous ses vices, d’exaspérer son, désir, il avait eu le temps de la retourner complètement avant de s’en aller. Et elle, triste alors, pauvre ville qui s’était laissée piller pour finalement être trahie, abandonnée sans excuses et sans explications, après s’être abandonnée elle-même dans les bras d’un homme.
    Lui baisant les joues et les mains, et les lèvres même parfois, elle lui demanda de l’aider à se réparer, de participer à sa reconstruction. Docile, il l’aida, et passa bien des semaines à charrier des sacs de ciment, à dresser des échafaudages, à refaire les toitures, à repeupler les parcs, à ranger les boutiques. Il la caressa longuement aussi, et lui murmura des mots apaisants, pour la tranquilliser, pour lui faire reprendre confiance. Il s’efforça d’être indifférent aux manifestations de son amour pour l’autre, de toute évidence supérieur au sentiment qu’elle nourrissait pour lui, et d’ignorer les ruelles sombres et les noirs coupe-gorge, enfin tous les lieux de décadence qui avaient fleuri un peu partout et dont elle ne voulait se séparer. Elle n’avait jamais été elle-même autant qu’au cours de ces quelques semaines, il le savait bien. Mais c’était une partie de lui-même, c’était quelques mois de sa vie, et il l’aimait toujours pour ses tendresses et pour les pluies de feuilles qui venaient lui caresser l’épaule.
    Ils se remirent donc à s’aimer, tendrement, violemment, et il recommença à coucher le soir dans un hôtel de son choix, avant de choisir un café le matin, puis de se balader dans les méandres de cet être qui ne voulaient pas oublier totalement le passage récent de leur abominable idéal. Elle était gentille avec lui toutefois, elle était douce et aimante, et ils échangeaient de longs baisers, et ils se caressaient, et ils faisaient l’amour avec passion. O jours heureux qu’ils coulaient de nouveau, ô bonheur incroyable qui lui était redonné, bonheur auquel il ne croyait plus avoir droit, bonheur qu’il pensait perdu depuis des semaines déjà, et pour toujours ! Chaque matin il se réveillait en se disant qu’il avait de la chance d’avoir passé la nuit ici, qu’il avait de la chance de pouvoir passer sa journée là, et chaque matin il souriait, et il dévorait chaque croissant, et il étreignait chaque mur comme un être cher qu’il aurait failli perdre. Et il satisfaisait ses exigences de ville avec ardeur et dévouement, lui disait des mots doux quand elle en désirait, lui prodiguait des caresses quand elle en réclamait. En retour, elle tendait ses murs de rappelles de l’Ailleurs, elle essayait de se changer elle-même parfois en substitut d’escarpement montagneux aux odeurs épicées, ou en littoral docile duquel on entendait le mugissement de la mer proche. Elle essayait de lui faire manger des produits de là-bas, des produits du terroir dont il n’a jamais su comment elle les importait, elle lui faisait la surprise à chaque fois, et il appréciait de retrouver son pays, et il mangeait avec une pensée nostalgique pour ces grandes étendues venteuses.

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