Enfin un sujet qui permet de réfléchir un peu sur l'essence de l'art aujourd'hui. Je partirai donc sur le même constat que toi, que la musique est comme le cinéma, un art qui peut ne pas l'être, ou être autre.
C'est le centre de la crise culturelle actuellement: tout art se retrouve prostitué par l'industrie et l'économie et détourné de ses fins originelles. Regardez la télévision: le mot "artiste" sert à qualifier n'importe quel être humain ayant une capacité vocale relative à des critères eux-mêmes très relatifs, et sachant aligner trois notes (ou juste brandir) un instrument de musique -ou un micro, ce grand outil de masturbation narcissique moderne.
Considéré comme un bien, un produit, l'art se retrouve déchiré entre des tendances finalement opposées: l'élitisme ou le populisme (ce que j'appelerai "l'art des masses", celui du consommateur, qui s'achète, se vend, s'échange, celui qu'on produit pour répondre à des attentes, pour être consommé, formaté selon une demande et qui amène en retour des richesses matérielles).
Bref, concernant la musique, il est clair que l'on peut marquer la différence, que les metalleux reconnaîtront, entre le commercial et l'underground.
Le problème est qu'un autre clivage, entre élitisme/populisme, se retrouve à tous les niveaux et dans tous les genres. Certains se feront par snobisme les garants d'une culture fermée, accessible à un petit nombre d'initiés ou de priviligiés; mais là encore, la musique est-elle vraiment de qualité, est-ce de l'art musical ou une de ses variantes commerciales - réservée à ceux qui ont les moyens ou qui suivent bêtement la mode du petit nombre?
Face à ceux-là, on a les gens qui, adeptes de la musique populaire, apprécient tout sans rien préférer, et cherchent à défendre ce qu'ils trouvent ne pas être de l'art mais qui, étant écouté par le plus grand nombre, a la caution des ventes et de la célébrité. Mais là encore, est-ce légitime?
La vérité est entre les deux, et le gros problème est le sectarisme qui empêche les bons musiciens d'être reconnus sans pour autant entrer dans un système où l'argent domine. C'est presque impossible.
Comment s'en sortir?
Il existe même une certaine complaisance de groupes ( je pense encore au metal, mais j'imagine que le rock est concerné aussi) à ne pas vouloir sortir de l'underground, et qui reproduisent à l'inverse, dans les zones sous-culturels et sous-commerciales, ce qui se passe au niveau sur-culturel et sur-commercial, c'est à dire dans les milieux pseudo-élitistes.
Trois clivages, alors?
* les élites du dessus qui ont les moyens et dominent le système en le contrôlant, tout en ayant leurs propres "célébrités" dans une aire à part;
* la masse centrale qui n'est finalement qu'une consommatrice béate;
* et les élites du dessous, qui représentent la frange sans moyen mais peut-être la plus sincère des musiciens et de ses amateurs. Mais fermés sur eux-mêmes, ils sont également étouffés par les deux couches supérieurs et ne peuvent qu'évoluer en circuit parallèle. Peut-être la seule échappatoire possible, l'alternative pour, par son développement, remplacer les deux autres. Mais attention, je ne parle pas de lutte des classes artistiques!
Loin de moi de juger tel ou tel genre musical, mais il me semble central de dire que tout cela est également lié à l'évolution de la musique depuis le développement des moyens de communication. Et vu la prolifération de ceux-ci et de la diversité des styles musicaux aujourd'hui, ( ce qui est autant une richesse qu'un labyrinthe où se perdre) le problème est loin d'être résolu. Reste à définir ce qu'est la musique, si la musique est un art et si, aujourd'hui, la musique a encore la place nécessaire et essentielle pour la vie qui lui trouvait Nietzsche il y a plus d'un siècle.