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    [DOSSIER] Andreï Tarkovski

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    [DOSSIER] Andreï Tarkovski Empty [DOSSIER] Andreï Tarkovski

    Message par S. Mar 4 Mar - 20:06

    Introduction


    Bergman le considérait comme l'un des plus grands et les critiques comme poète. C'est généralement de cette manière que la plupart des articles et notes biographiques introduisent Andreï Tarkovski. Cette tendance à immédiatement chercher l'avis de personnes qualifiées et leur accorder une confiance presque aveugle, comme s'ils décernaient un label de qualité, nous indiquent bien la particularité du cinéaste qu'était Andrei Tarkovski. Son père dit même « Andrei, ce ne sont pas des films que tu fais ». Le génie étrange de Tarkovski a traversé le cinéma bizarrement, rapidement, laissant une trace inaliénable, d'une telle profondeur et marginalité qu'on a parfois du mal à l'enfermer dans un art, à le décrire, à le caractériser...
    Ce cinéaste Russe d'exception aura marqué le Cinéma avec pas plus de sept films, assez peu vus en réalité, puisqu'il n'y a sans doute pas eu plus de 300 000 spectateurs pour l'ensemble de son œuvre. A l'image de ses protagonistes, et même du cinéaste, son œuvre est seule, solitaire et grave. Elle trouve sa beauté dans une simplicité assez hermétique. Tarkovski raconte, qu'après une séance, des critiques et intellectuels tergiversaient quant au sens du film, et se firent chasser par une technicienne de surface, agacée de les voir débattre inutilement, alors que le sens à donner était évident.
    Les films de Tarkovski s'inscrivent à travers une lenteur mystique, des visions proches de la rêverie, voire de l'hallucination, et de sensations aquatiques. Une aura destabilisante se dégage de ce monde qu'il épure sans cesse ; une aura toute aussi sacrée qu'humaniste et philosophique. Ce sont d'ailleurs, avec l'art, les piliers d'une société idéale pour Tarkovski, convaincu que l'homme emprunte un mauvais chemin, et qu'il doit au plus vite se repentir et progresser vers une harmonie avec lui-même, la matière, la Nature, Dieu, et vers une supériorité spirituelle, après avoir mis à bas l'hégémonie de la technocratie et de la rationalité scientifique, convaincue de pouvoir contrôler le monde.
    Pourquoi et comment Andrei Tarkovski a pu s'imposer, et ce malgré un régime oppressant, comme un maître du cinéma en seulement sept films, et quelles sont les caractéristiques de son œuvre ? « Je suis persuadé que nous nous trouvons actuellement au bord de l'anéantissement de notre civilisation » disait-il. Ce dossier prétend démontrer que ce « moine poète » comme le surnomme généralement les critiques, a cherché a dénoncer la nature de l'homme et à l'aider à se repentir, en maudissant la médiocrité et la négligence.
    Personnage colérique, faisant preuve de peu de concessions et d'une tolérance très limitée, Tarkovski fascine par le regard qu'il portait sur sa profession. Plus qu'un métier, plus qu'une œuvre, c'est une prière que l'artiste se doit de formuler. Ce sont des films qui ne laissent pas indifférents, qui nous changent, ce sont des voyages intérieurs, des métaphores d'un purgatoire. Son regard sévère et péremptoire condamne nombre de ses collègues, condamne des critiques, même ceux qui le défendent (comme Sartre, qu'il accuse au fond de n'avoir pas compris son œuvre). Une rétrospective au mk2 de Beaubourg en fin 2007 rendait hommage à ce cinéaste Russe soutenu par la critique française, et cherchait à prouver que de Tarkovski, il nous restait bel et bien autre chose que son nom.


    Dernière édition par S. le Ven 23 Mai - 21:00, édité 2 fois
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    [DOSSIER] Andreï Tarkovski Empty Re: [DOSSIER] Andreï Tarkovski

    Message par S. Mar 4 Mar - 20:08

    I - L'itinéraire d'Andreï Tarkovski




    1.1. Notes biographiques

    Fils du poète Arseni Tarkovski, Andreï Tarkovski est né le 4 avril 1932 à Zavroje, au bord de la Volga, non loin d'Ivanovo. Il étudie la musique, la peinture, la sculpture, et l'arabe, avant de travailler comme géologue en Sibérie (de 1952 à 1956). Ce n'est qu'ensuite qu'il entre au VIGK, l'institut national du cinéma en URSS, à Moscou. Il y fut l’élève de Mikhail Romm. Quatre ans plus tard, il réalise son film de fin d'études : Le Rouleau compresseur et le violon.
    Il est nécessaire de présenter de façon assez chronologique et rébarbative les quelques longs métrages suivants : à partir de 1969, il est connu et reconnu internationalement, grâce à Andreï Roublev, qui reçoit le prix de la critique internationale à Cannes. En 1972, Cannes décerna à Solaris le Prix spécial du jury. En 1982 Tarkovski part en Italie pour préparer une coproduction italo-francaise : Nostalghia. Il resta en Italie, et se battit afin que sa famille puisse le rejoindre. N'oublions pas que durant la majeure partie du Xxème siècle, l'URSS est un état au régime autoritaire, particulièrement attentif aux déplacements. Berlin illustre parfaitement le conflit de l'époque, en étant séparée par un mur. Sur son lit de mort, on lui projeta son dernier film, Le Sacrifice, qui reçut le Grand Prix Spécial, à nouveau au festival de Cannes. Il décède le 29 décembre 1986, et est enterré au cimetière russe de Sainte-Geneviève des Bois, non loin de Paris.


    1.2 Filmographie et Prix

    Les Tueurs (1956)
    Il n'y aura pas de départ aujourd'hui (1958)
    Le Rouleau compresseur et le violon (1960)
    L'Enfance d'Ivan (1962)
    Lion d'or au Festival de Venise
    Andreï Roublev (1966)
    Prix de la FIPRESCI (Fédération Internationale de la Presse Cinématographique) à Cannes
    Solaris (1972)
    Grand Prix spécial au Festival de Cannes et Prix de la FIPRESCI à Karlovy Vary.
    Le Miroir (1974)
    Stalker (1979)
    Prix du Jury oecuménique au Festival de Cannes
    Nostalghia (1983)
    Grand Prix du Cinéma de Création au Festival de Cannes
    Prix de la FIPRESCI à Cannes
    Le Sacrifice (1986)
    Grand prix spécial du Jury au Festival de Cannes 1986



    2. Du soviétique au Russe exilé

    Tarkovski est un cinéaste étranger du cinéma contemporain et un artiste qui dérange. Le « cinéma soviétique » est un cinéma forgé dans les années 20 puis asservit par Staline. Jusqu'à l'Enfance d'Ivan, l'on ressent le réalisme-socialisme de Jdanov. Le film, convenablement reçu par la critique et les spectateurs, apparaît comme un produit typique, sans surprise, de la nouvelle vague soviètique. On cherche alors immédiatement à définir les caracteristiques de ce cinéma, tout en risquant d'enfermer étroitement le cinéaste dans un cadre. Le cinéma, même avec la destalinisation et Nikita Khrouchtchev, se devait d'avoir un contenu socialiste, d'un réalisme construit selon l'idée communiste. En ce sens, l'Enfance d'Ivan plaît au Goskino, et le cinéaste dispose de crédits et d'une confiance suffisante pour un nouveau long-métrage. Mais Tarkovski compte réussir à détacher son oeuvre des contraintes et attentes politiques.

    Andrei Roublev provoque alors la surprise. Le synopsis semblait a priori satisfaire parfaitement les attentes des autorités russes. Mais le soviétisme disparaît du film, et nait le cinéma typiquement tarkovskien. Il trouve son inspiration dans la culture d'avant les années vingt, et privilégie une culture Russe, profondèment ancrée dans le patrimoine de chacun, au lieu de louer le socialisme et le soviètisme de son temps. Et plus que les attaques frontales présentes dans les films de Tarkovski à l'encontre de son régime, ce qui dérange surtout, c'est cette culture qu'il représente, étrangère au régime soviètique. Ce hiatus entre soviètique et russe bouleverse la vision vis-à-vis du pays de nombre d'artistes et intellectuels. Les bureaucrates de Goskino, l'entreprise nationale cinématographique de l'URSS – qui prend le nom de Mosfilm en 1935 – mettent alors des bâtons dans les roues du réalisateur, en retardant la sortie d'Andreï Roublev, et en l'empêchant se de présenter avec les couleurs de l'URSS à Cannes. Ses scénarios sont refusés, et une première période de chômage l'oblige à s'essayer à la science-fiction, genre très populaire et apprécié. Il considérera toujours que Solaris (1972) était son plus mauvais film. « il y a trop de gadgets pseudo-scientifiques dans le film, dit-il. Les stations orbitales, les appareils, tout cela m’agace profondément. Les trucs modernes et technologiques sont pour moi des symboles de l’erreur de l’homme [...] trop préoccupé par son développement matériel, par le côté pragmatique de la réalité. L’intérêt de l’homme pour le monde transcendant a disparu. [...] A quoi cela sert-il d’aller dans le cosmos si c’est pour nous éloigner du problème primordial : l’harmonie de l’esprit et de la matière ? »(A. Tarkovski, dans son dernier entretient, pour Nouvelles clefs). Néanmoins, remarquons que cette adaptation du roman éponyme de Stanislas Lem se déroule autant dans la nature, verdoyante et humide, sur Terre, que dans la station orbitale... Une personne visionnant quelques extraits du film pourrait très bien conclure sur la nature réaliste du film et louper le registre fantastique. Chose assez peu courante dans ce genre, puisque la plupart du temps, il comprend la volonté d'effectuer une prouesse artistique, esthétiquement fantastique. Solaris n'a d'ailleurs rien à voir avec la science-fiction de Stanley Kubrick, qui sortait quatre ans auparavant 2001, l'Odyssée de l'Espace, à grands renforts de virtuosité technologique. Si l'on peut rapprocher les deux films, c'est tout au plus sur les musiques, les compositeurs respectifs Artemiev et Wendy Walter Carlos découvrant sur chacun de ces films la musique synthétique. Mais Solaris reste bien un film tarkovskien, malgré ces « gadgets pseudo-scientifiques » (Ibid). L'auteur du livre ayant d'ailleurs été assez mécontent de voir les libertés prises par le cinéaste. Devrait-il encore se réjouir, que Tarkovski ait gardé la station orbitale et la technologie, car si la réceptivité du public le lui avait permis, certainement se serait-il débarassé du moindre objet futuriste, et aurait-il projeté la surface « vivante » sur un lac...
    Avec le Miroir, il revient à ce qui lui est cher. Sa vie, l'image de sa mère, et la recherche du père. Résultat : le président du Goskino est insatisfait, les copies très peu nombreuses, la presse muselée. C'est en France que le film est reçu positivement, notamment grâce à Gaumont. C'est enfin avec Stalker que le réalistateur est connu et reconnu internationalement. Nouveau film de science fiction, c'est sans conteste celui qui aura eut le plus de mal à voir le jour : détournement de pellicule du Goskino, incompétence des développeurs qui cause la perte définitive d'une année entière de tournage, des conditions budgétaires insoutenables, des conditions de tournage dans l'eau insupportable : Tarkovski aura un infarctus en avril 1978. L'URSS bloque la notoriété du cinéaste, et provoque un fiasco de Stalker dans ses propres salles.
    Mais le triomphe international lui permet de quitter l'URSS, de tourner en occident et de fuir le chomâge. Aussitôt, l'exil lu inspire la nostalgie, que l'on retrouve dans Nostalghia (une fois de plus handicapée par le Goskino qui impose Bondartchouk, ennemi de Tarkovski, dans le jury).
    Avec le Sacrifice, Tarkovski signe son dernier film, le plus éloigné thématiquement de la Russie. Il engage en guise de matière sa foi orthodoxe, qui marque profondément la fin de sa vie. Ce Russe exilé, gardera toujours son pays au fond de son coeur, et sera enterré dans le cimetière Russe non loin de Paris.
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    [DOSSIER] Andreï Tarkovski Empty Re: [DOSSIER] Andreï Tarkovski

    Message par S. Mar 4 Mar - 20:12

    II - Réflexion sur l'oeuvre tarkovskienne

    1. Pour mieux comprendre son oeuvre
    1.1. Qui était Tarkovski ?
    Il est nécessaire, pour mieux aborder l'oeuvre du cinéaste russe, de cerner le personnage. Obsessionnel, méticuleux, implacable, rigoureux, Tarkovski ne concède pas. Il est d'une rare intransigeance, et d'une agressive sincèrité, notamment vis-à-vis des critiques. Il n'agit pas par hasard, ne travaille pas par tâtonnements, mais par certitudes, conviction et foi. Il filme, contrairement à la majorité des cinéastes, sans vraiment se poser la question de la réception. La narration, au fond, n'est pas son principal interêt, il cherche et trouve son style dans la sensation. C'est un homme, à l'image de ses personnages, solitaire. Malgré l’admiration illimitée qu’il éprouva toujours pour le talent paternel, Andreï resta fasciné par l’abnégation féminine et douceur de sa mère. Abandonné dans son enfance par son père, les figures paternelles et maternelles apparaîtront souvent dans ses films. Sur le plateau, il dirige, et en aucune façon se laisse diriger. Il est seul maître à bord, à l'instar d'Hitchcock, il mène ses acteurs au doigt et à l'oeil. Ce démiurge d'exception n'est professionnellement que peu social, car il n'est pas sur un plateau pour plaisanter ou prendre du bon temps... Il méprise au contraire ces collègues, ces « ratés professionnels qui gravitent dans l'orbite cinématographique » et se satisfont bien de la conclusion d'André Malraux, dans son Esquisse d'une psychologie du cinéma : « Par ailleurs, le cinéma est une industrie. »


    1.2 Sa définition et vision de l'art

    L'art, pour Andreï Tarkovski, n'est pas une plaisanterie, n'est pas un divertissement, n'est pas un loisir : c'est une prière. C'est plus qu'un travail, c'est un devoir divin. Avant tout, il faut être digne d'exercer dans le domaine artistique et particulièrement cinématographique, où il considère que nombre de ses « collègues » sont des imbéciles heureux, justifiant la clairvoyance de Malraux, qui concluait son Esquisse d'une psychologie du cinéma par "Par ailleurs, le cinéma est une industrie". Être digne de faire du cinéma, c'était un élément fondamental de Tarkovski, qui se voulait être digne et formuler au mieux ses 'prières filmiques ', message d'espoir, nourrit par le spirituel. Il a même l'audace d'écarter Picasso du monde artistique, déclarant que son oeuvre ne se base pas sur l'espoir, mais sur une réflexion intellectuelle.Quand on osera comparer son public à celui de Steven Spielberg, il répondra : « En posant cette question, vous montrez que vous n’en avez rien à foutre. Spielberg, Tarkovski... tout cela pour vous se ressemble. Faux ! Il y a deux sortes de cinéastes. Ceux qui voient le cinéma comme un art et qui se posent des questions personnelles, qui le voient comme une souffrance, comme un don, une obligation. Et les autres, qui le voient comme une façon de gagner de l’argent. C’est le cinéma commercial : E.T., par exemple, est un conte étudié et filmé pour plaire au plus grand nombre : Spielberg a atteint là son but et c’est tant mieux pour lui. C’est un but que je n’ai jamais cherché à atteindre. Pour moi tout cela est dénué d’intérêt. Si tout le monde était capable de la comprendre, alors le chef œuvre serait aussi ordinaire que l’herbe qui pousse dans les champs. Il n’y aurait pas cette différence de potentiel qui engendre le mouvement. »

    L'on peut adhérer et être initié, ou ne pas être réceptif et être retenu par la lenteur, la lourdeur et l'hermétisme. Dans ce cas, nous sommes l'écrivain ou le physicien de Stalker.


    1.Cinémathèque idéale

    La cinémathèque idéale de Tarkovski se compose d'auteurs (et non de films, ce qui montre son attachement à des « univers de cinéastes » et des philosophies du cinéma) : Fellini, Iosseliani, Dreyer, Chaplin, Vigo, entres autres, mais aussi particulièrement de Bunuel, Kurosawa, Mizoguchi, Satyajit Ray, Antonioni, Dovjenko, alors que Bergman et Bresson sont ses cinéastes fétiches. Bergman, parce qu'il a un rapport à la création plaisant, et une esthétique fascinante. Bresson, lui, est un guide éthique, la pureté de ses films (il faisait jouer ses « modèles » des dizaines et des dizaines de fois jusqu'à l'épuisement et ce qu'ils épurent leur jeu de toute émotion )et son intransigeance éblouisse littéralement Tarkovaski. Bresson, c'est aussi, à l'instar de Tarkovski un refus de tout compromis et une absence de concession.


    2.Esthétique et montage
    La caméra se fixe et nous laisse le temps de détailler avec admiration les plans, véritablement travaillé par un peintre. Ce sont des plans larges essentiellement, d'une grande ouverture, avec de nombreux jeux de couleurs, avec des changements de supports, sépia, désaturations, couleur et noir et blanc (particulièrement dans Stalker et Nostalghia, à noter que dans ce dernier, le noir et blanc est une opération ajoutant au nostalgique des scènes passées. L'on retrouve encore cette touche dans de nombreux styles et univers filmiques, comme chez Quentin Tarantino). Néanmoins, les couleurs sont souvent les mêmes, parfois fades, oppressantes, chargeant l'atmosphère d'une lourdeur écrasante et d'une mélancolie (souvent vers la fin des films). Mais toujours l'esthétique sert le spirituel et le sens.
    Les travellings sont nombreux et la variabilité de leur vitesse nous fait douter de la normalité du temps qui s'écoule (voir l'analyse 6. Une oeuvre marquée par la religion)
    Les plans sont construits avec une beauté dostoïevskienne et une précision paranoïaque. Sur le tournage de Stalker, par exemple, il fit demander à l'équipe d'arracher cinq pauvres petites fleurs qui avaient écloses pendant la nuit, sans évidemment, marcher sur l'herbe...
    Comme le veut la personnalité obsessionnelle du réalisateur russe, le montage est très soigné, celui du Miroir par exemple, a donné plus de vingt versions du film absolument différentes.
    « Le film ne tenait pas debout, il s’éparpillait sous nos yeux, n’avait pas d’unité, pas de liant intérieur, pas de logique. Puis un beau jour, alors que j’avais désespérément imaginé une dernière variante, le film apparut, le matériau se mit à vivre, les différentes parties du film à fonctionner ensemble, comme si quelque système sanguin les réunissait.»

    3. Le symbolisme.
    L'eau, le feu, le cheval, le chien, la nature, la neige...
    Ces éléments évocateurs au sens proustien, sont récurrents dans les films de Tarkovski. Commençons par l'eau, dont le terme récurrent est d'un grand euphémisme ! Elle est partout, sous forme de lac, de marre, de verre d'eau, de pluie, de robinet. Aucun des films de Tarkovski ne s'épargne cette ambiance semi-aquatique. L'eau est le symbole de la purification. Cette pluie régulière nettoie les personnages et traverse verticalement l'écran, formant parfois une épaisse barrière, ou un portail, peut-être celui d'un purgatoire, d'un exutoire vers la vraie vie, car l'eau, c'est aussi le symbole de la vie (voir documents annexes : capture A). Ce besoin vital qui est valorisé sur tout montre une eau inépuisable. Cette eau, proche de la terre, de la vie, c'est aussi un point de captation vers le sol, en opposition avec le ciel, qui lui est quasiment absent de l'oeuvre tarkovskienne, si on excepte l'ouverture d'Andreï Roublev. Cette fascination vers le sol, quasi hypnotique et invitant à la méditation est aussi un appel à porter notre interêt sur ce qui est proche de nous, ce qui est à notre portée et qui nécessite une réflexion de notre part. Enfin, l'eau est aussi traditionnellement rapprochée à la figure de la mère. Ainsi, dans Le Sacrifice, la figure de la mer et du père (le feu), se retrouvent ensemble, réunie dans le plan, malgré leur nature antithétique (voir documents annexes : capture B). Le cheval et le chien, sont des protagonistes non-humain, est-il besoin de le préciser ? Oui, car il sont marginaux vis-à-vis de la narration. Ils ne sont pas inférieurs aux hommes, mais véritablement à part. S'il devait y avoir une hiérarchisation, l'on aurait presque tendance à les classer supérieurs aux humains. Car ils semblent appartenir au monde du divin. Le chien (comme celui de Stalker, voir document annexe, capture D) va et vient curieusement, comme s'il cheminait entre deux monde. Andrei Roublev se démarque, peut-être parce qu'il ne peut se présenter comme abouti dans le cheminement de la philosophie tarkovskienne, puisque le chien du film est battu à mort. Avec prudence, on peut supposer que c'est a priori ce lien entre le monde terrestre et Dieu qui est ainsi mis à bas. L'omniprésence de la nature insiste sur le fait que c'est quelque chose d'intrinsèque au monde, et sur lequel nous avons encore beaucoup à réfléchir, car elle est d'une importance quasi-divine, création de Dieu et invitant à l'harmonie, elle permet aussi de dessiner des paysages explicites, correspondants le plus souvent à une Russie, belle et blanche, froide et forte, sensible et dure, comme la neige et la glace.
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    [DOSSIER] Andreï Tarkovski Empty Re: [DOSSIER] Andreï Tarkovski

    Message par S. Mar 4 Mar - 20:12


    4. Les personnages

    Le personnage tarkovskien typique est un homme perdu, égaré, dans un monde indifférent. Si le cinéaste les perd, c'est pour les placer dans un espace initiatique, pour mieux les reprendre. Alors que certains formulent la volonté de détruire pour reconstruire, que ce soit de manière nietzschienne en tuant Dieu, ou soviètique au travers des révolution de 1917, Andrei Tarkovski déconstruit pour reconstruire, sans perdre l'essence des personnages, mais en leur permettant un changement progressif et non radical, un mouvement intérieur, qui tend vers une perfection spirituelle introspective. C'est le principe même de l'initiation.
    Son enfance a été dure, sous le régime russe, comme pour tous les enfants de sa génération. Dans le premier film d'Andreï Tarkovski, qui remplaçait Eduard Abalov (licencié sans ménagement), l'enfant est utilisé comme « usine de songes », afin d'apaiser l'horreur de la guerre et gagner en utopisme. (ci-contre, l'Enfance d'Ivan).
    Les femmes ont aussi leur portrait, comme dans Nostalghia, figure de la mère, éloge implicite et sincère admiration.
    Le martyr et l'homme faible. Les films de Tarkovski témoigne d'une souffrance. Les cris incessants dans Andrei Roublev nous assaillent : le cinéaste s'est lui-même construit une âme de martyr, ne serait-ce que par l'énergie et la spiritualité qu'il met en son activité. Il lutte, résiste, et souffre. Mais un autre personnage, assez proche du martyr est traité de matière récurrente (notamment dans Nostalghia), c'est l'homme faible : « je voulais poursuivre mon thème de l'homme faible, celui qui n'est pas un lutteur par ses signes extérieurs, mais qu eje vois comme le vainqueur dans la vie [...] Quand je dis que la faiblesse de l'homme est attirante, j'entends l'absence de cette expansion individuelle vers l'extérieur, de cette agressivité contre les gens ou contre la vie en général, ou de cette tendance à asservir les autres pour la réalisation de ses objectifs personnels. En un mot, ce qui m'attire est l'énergie de l'homme qui s'élève contre la routine matérialiste » (Le temps scellé, Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma). Idée très dostoieskienne (auteur passionnant Tarkovski) que seuls ceux qui savent souffrir savent aimer.


    5. Les trois mouvements tarkovskiens

    Le cinéma d'Andreï Tarkovski se définit selon trois mouvements : le rêve, la mémoire, la quête, c'est à dire l'introspectif, le retrospectif, et le prospectif. Dans chacun des cas, l'on tend vers l'infinie. La quête mène aux abîmes ou à un stade spirituel supérieur, la mémoire est infinie, seule notre contingence et caractère humain la borne, et les rêves, immateriels, peuvent construire des mondes sans limites.

    " Tous mes films, d'une façon ou d'une autre, répètent que les hommes ne sont pas seuls et abandonnés dans un univers vide, mais qu'ils sont reliés par d'innombrables liens au passé et à l'avenir, et que chaque individu noue par son destin un lien avec le destin humain en général. Cet espoir que chaque vie et que chaque acte ait un sens, augmente de façon incalculable la responsabilité de l'individu à l'égard du cours général de la vie ". (Andrei tarkovski, Le Temps scellé)

    Les mouvements, au final, tendent directement vers un sens et un objectif donné aux films : peindre l'espoir.


    6. Une oeuvre marquée par la religion

    Tarkovski l'a dit, il rêve. Dans une certaine mesure, ces rêves, qu'il déclare être prophétiques, se retrouvent dans ses films, sous forme de rêverie, d'irrationnel et autres éléments transcendants. C'est pourquoi l'espace et surtout le temps, semble ne pas exister, ou du moins être profondément différent que celui réel. Les mondes qu'ils présentent ont été déconstruits et reconstruits, afin d'être redécouvert. Ils ne sont pas naturels. Ils ne sont pas réalistes. Le rêve, c'est l'irréalité et le non sens. C'est la transcendance.
    Tarkovski était un fervent croyant au monde de l'au-delà, quelque peu frustré de la nature et condition humaine. L'art, la philosophie et la religion étaient pour lui les trois piliers pouvant soutenir le monde. Tarkovski est croyant et se fait prophète. Le thème de dieu marque avec de plus en plus d'intensité l'oeuvre du cinéaste (notons d'ailleurs les citations bibliques dans Andrei Roublev), pour atteindre son paroxysme dans Nostalghia et le Sacrifice. Mais ce chemin biblique restreint t-il, contraint t-il l'oeuvre de Tarkovski, en l'assujettissant à un objectif prédéfini ou l'enrichit-elle ? Pour répondre de manière méthodique, il faudrait lister les avantages et inconvénients, donnant une certaine valeur à chacun, positive ou négative, et voir si le résultat et au dessus ou non de zéro. L'on aurait une réponse aussi précise qu'inutile, car une bonne question peut guider notre analyse : Comment est né l'art ? Les hommes ayant peint dans les grottes de Lasceaux n'avaient certes pas l'objectif d'entrer dans l'histoire, néanmoins leurs peintures sont considérées comme des plus précieuses parmi notre patrimoine artistique. Ces bizons, dessinés, étaient chargés d'animisme, forme primaire d'une religion monothéiste complexe. Le magnifiques peintures du moyen-âge, elles aussi, avaient pour objectif de témoigner de la beauté de la création de Dieu. L'art est né en tant qu'art religieux. Cette forme « de prière » que veut instaurer Tarkovski dans ses films au lieu d'amoindrir le réalisateur, lui permet de revenir à des sources primitives de l'art en général. Sa croyance inébranlable enrichit ses films et ne les contraignent pas. Elle charge ses films de la force de la foi et de l'espoir. S'il nous ferait presque croire en Dieu, c'est que la sincérité qui se dégage son oeuvre est bouleversante, presque dérangeante. Le cinéma est un art de l'artifice, du mensonge, et autant de sincérité surprend, de part son accessibilité et sa facile identification. « Je n’invente aucun langage pour paraître plus simple, plus bête ou plus intelligent, dit-il. Le manque d’honnêteté détruirait le dialogue. Le temps a travaillé pour moi. Quand les gens ont compris que je parlais une langue naturelle, que je ne faisais pas semblant, que je ne les prenais pas pour des imbéciles, que je ne dis que ce que je pense, alors ils se sont intéressés à ce que je faisais. » Devant cette sincèrité, l'on voit des signes divins, mais pas de films religieux, l'on peut voir une morale qui peut aussi bien asservir une philosophie ou pensée, que la religion.

    Pour revenir et finir sur le rêve, celui-ci, s'il balaye le réel, n'en ai pas pour le moins une véritable vision du monde, et de ce fait, est finalement peut-être plus réaliste que bon nombre d'oeuvres néoréalistes. Il n'est pas saugrenu de considérer le cinéma tarkoskien comme l'une des meilleurs « fenêtre sur le monde » comme disait Bazin.

    7. Une oeuvre pessimiste ?

    « Je pressens un avenir très sombre, si l’homme ne se rend pas compte qu’il est en train de se tromper. Mais je sais que tôt ou tard il prendra conscience. Il ne peut pas mourir comme un hémophile qui se serait vidé de son sang pendant son sommeil parce qu’il se serait égratigné avant de s’endormir. L’art doit être là pour rappeler à l’homme qu’il est un être spirituel, qu’il fait partie d’un esprit infiniment grand, auquel en fin de compte il retourne. S’il s’intéresse à ces questions, s’il se les pose, il est déjà spirituellement sauvé. La réponse n’a aucune importance. Je sais qu’à partir de ce moment-là, il ne pourra plus vivre comme avant. »
    Pourtant, Andreï Tarkovski veut dépasser le conflit entre optimisme et pessimisme qu'ils qualifient « vide de sens ». Tandis que l'optimisme est un leurre théâtral et politique, le pessimisme reste négatif, même s'il est vrai. C'est l'espoir, le propre de l'être humain, qu'il privilège. Dans sa dernière interview, il cite Tertulien : « je crois parce que c'est absurde de croire ». La force de l'espoir, c'est qu'il s'intensifie et s'accroit à mesure que le milieu où il est généré se détériore.
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    [DOSSIER] Andreï Tarkovski Empty Re: [DOSSIER] Andreï Tarkovski

    Message par S. Mar 4 Mar - 20:13

    IV-Analyse poussée d'un exemple : Stalker


    Fiche technique
    Titre : Stalker
    Réalisation : Andreï Tarkovski
    Scénario : Arcadi et Boris Strougatski, d'après leur roman Pique-nique au bord du chemin.
    Production : Aleksandra Demidova
    Musique : Eduard Artemyev
    Photographie : Aleksandr Knyazhinsky et Georgi Reberg
    Montage : Lyudmila Feiginova
    Décors : Aleksandr Bojm et Andreï Tarkovski
    Costumes : Yelena Fomina
    Pays d'origine : URSS
    Format : Couleurs – 1,37:1 - Mono - 35mm
    Genre : Science-fiction
    Durée : 163 minutes
    Dates de sortie : Août 1979 au festival du film de Moscou, le 13 mai 1980 au festical de Cannes.
    Distribution
    Stalker : Aleksand Kajdanovsky
    La femme de Stalker : Alisa Frejndlikh
    L'écrivain : Anatoli Solonitsyn
    Le scientifique : Nikolai Grinko
    Martha, la fille de Stalker : Natasha Abramova
    Distinctions
    Prix du Jury œcuménique lors du Festival de Cannes (1980).
    Prix du Jury et nomination au prix du meilleur film, lors du festival Fantasporto (1983).



    Remarque sur le film :

    En 1979, l'équipe tourne Stalker en Estonie. Mais la pellicule est détruite suite à de terribles erreurs techniques, plus d'un an de tournage est perdu.. Le réalisateur mettra un temps avant d'accepter de reprendre le film et de le retourner, d'autant plus que sa santé se détériore, et qu'il fait un malaise cardiaque.






    Le substantif anglais stalker signifie : « personne qui fait une filature » ou « qui est l’affût ». Dans le film le Stalker est un guide spirituel et spatial qui est le seul à connaître et comprendre plus ou moins la Zone, un lieu interdit et mortellement dangereux où serait tombé une météorite. Le Stalker guide un physicien et un écrivain à travers la Zone, afin d'atteindre la « chambre », pièce où soit-disant les voeux seraient exaucés. Mais perdant leur foi, le scientifique et l'écrivain, arrivés à objectif, ne souhaitent même plus entrer dans la chambre. Si le film fait un flop en URSS à cause des autorités, il recoit un accueil plus que chaleureux en France. Eloge de l'homme faible (le Stalker), il est certainement le film clef dans l'oeuvre de Tarkovski, qui détourne le fantastique pour l'asservir à son style et ses idées. Cet homme faible, qui a la foi, est au fond plus sensé que le scientifique, qui ne réussit grâce à sa science à maîtriser le monde, et plus utopique et imaginatif que l'écrivain, qui lui aussi n'est pas assez pur pour avoir la volonté d'entrer dans la chambre. J'emprunte un plan assez proche de celui utilisé dans l'analyse de Stalker par Gilles VISY (de l’Université de Limoges), car il y a trois étapes fortes dans la philosophie tarkovskienne : tout d'abord, une reproduction mimétique du réel qui tend vers la destruction du réel, puis une reconstruction du monde chargé d'irréel, puis, de cette absence de sens, l'approche du spirituel.

    Pour la seconde fois, Tarkovski a recours à la science fiction, mais comme nous l'avons déjà vu, ici, contrairement à Solaris, il l'assujetti entierrement à son langage cinématographique. Tout au plus, la dernière scène, où l'enfant témoigne de capacités télékinésiques, permet l'authentification du genre. C'est ici parce que Tarkovski a construit un monde trop réaliste que la confusion peut s'opérer. Les personnages sont bien ancrés dans leur réalité et aucuns « gadgets technologiques » ne parasitent, cette fois, l'oeuvre. L'on a le personnage Stalker, l'homme faible, mais aussi sa femme, et son enfant, les personnages tarkovskiens contrastent avec ces protagonistes qui semblent appartenir à notre monde rationnel : le physicien et l'écrivain. Le personnage masculin Tarkovskien est en conflit, continuellement avec les protagonistes que nous diront « normaux » (ce terme est utilisé par le réalisateur, dans une interview, ce sont ces gens « normaux » qui selon lui, détruisent le monde et le mène à sa perte). Ce personnage est pourtant paradoxal, il cherche à apporter le bonheur aux autres, mais à la fois demande à être payé. C'est que l'homme faible n'est pas parfait, justement, il est sur le bon chemin, mais doit rejeter cette vie matérialiste et avancer sur le chemin de la spiritualité. Nous entrons dans le film par un travelling avant, les couleurs, comme nous l'avons vue, sont très travaillées, et l'on commence avec un ton sépia (voir documents annexes, capture C) et une hypothèse mathématique (la rationnalité, le triangle ABC) écarte déjà une hypothèse irrationnelle (le triangle des bermudes). Le style de Tarkovski ne s'embarasse pas de platitudes. Dès les premiers mots, en somme, nous découvrons un pan du conflit. Le monde a l'air pauvre, dirigé par un régime autoritaire. La Zone est parsemée d'armes à feu noyées dans une eau vaseuse, de carcasses de voitures et de chars, et d'entrepôts délabrés et désaffectés. Malgré « l'apocalypt-isme » des images, le rendu est fort réaliste. La ressemblance première au régime soviétique n'est pas anodine. L'on a donc une véritable construction du réel, l'on pointes les bases, solides, du monde, afin de mieux les détruire et construire de l'irrationnel. L'atmosphère est oppressante, emprisonnante, à l'instar du totalitarisme, à l'instar de la réalité. L'on entend la marseillaise, l'appel de l'occident, rappelons que nous sommes encore en des temps de guerre froide. Cette musique lointaine, c'est une rêverie, l'un des trois mouvements tarkovskiens principaux. La caméra surplombe une entrée dans la zone mouvementée, l'on entends des tirs, comme si la loi martiale était déclarée dans les environs. Ce réalisme tend vers un idéalisme. La nature est supérieure à l'homme, celui-ci ne peut la blesser sans se mettre en danger de mort. Le hiatus entre l'homme et le monde est mise en évidence, et tend à être annihilé. Le rapprochement étant l'une des clefs pour une progression spirituelle. En quittant le monde et en entrant dans la Zone, se monde naturel et débarassé es hommes, la teinte sépia a disparut et les couleurs vives de la forêts sont apparut, comme une bouffée d'oxygène. Les protagonistes sont invités a grandir, lors de ce voyage initiatique. Notons que la caméra assez subjective nous invite nous aussi a être initié et à faire le voyage, notamment lors de la scène du tunnel.

    Si le film repose sur le non-sens, c'est que toute l'histoire est basée sur la foi du Stalker. L'on ne sait, au fond, ni s'il est sincère, ni s'il peut vraiment certifié de l'efficacité de la chambre à voeux. Toutes les lois, tous les dangers de la zone (hormis ceux provoqués par la fuite du monde « réel » et ayant été accompagnés de violentes rafales de tirs) ne sont que pures spéculations. Stalker est aussi une figure de l'irrationalité, toutes les lois reposent sur sa foi. La nature de la zone a ses propres lois : arracher une fleur est sévèrement puni. L'on en vient même a craindre le moindre faux pas d'un des personnages. Ces règles nous dépassent, elles ne semblent pas avoir de sens, pas de justice, et avoir été édictée dans un bain d'absurdité. Cette quête de l'univers irréel est très importante pour Tarkovski, qui tient à montrer qu'il y a un monde « au-delà du rationnel » ( Analyse de Stalker, Gilles VISY). Pour atteindre cet au-delà, il faut balayer les lois conventionnelles, et les accorder à la nature, une instance puissante et indépendante de l'homme. La zone est un monde irréel, onirique, les couleurs sépias réapparaissent selon l'humeur et les personnages, les liens du « régime cristallin » (Gilles Deleuze) sont irréels, ne serait-ce que dans les lieux. Le passage d'un tunnel humide et sombres, débouche sur une pièce improbable, où des petites dunes de sable très clair forment des ondulations quasi hypnotiques (voir documents annexes : capture E ). L'espace et le temps sont bouleversés, c'est ce que nous avons théoriquement abordé, dans le paragraphe sur la religion dans l'oeuvre tarkovskienne. Tous les lieux se ressemblent. L'écrivain, s'étant égaré, rattrapent les deux autres avec une rapidité que le Stalker lui-même déclare d'inconcevable physiquement. Nous sommes dans un rêve, dans une irréalité où les lois sont régit par d'autres instances, où l'expérience n'est pas un fait rationnel, tout n'est que sensation, intuition. Jamais nous ne verrons la Zone se manifestait de quelque manière étrange que ce soit. Jamais nous n'aurons expérience de la Zone en tant que lieu surnaturel, jamais nous n'aurons expérience de la chambre. Rien ne dit que ce monde surréaliste existe, mais rien ne dit le contraire non plus. Le doute s'oppose alors a la foi. Le doute rationnel, à la foi du croyant. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » disait Rabelais, leçon avec laquelle le scientifique n'est plus vraiment en accord. Son doute le rend totalement irrationnel malgré son statut, et après avoir voulu entrer dans la chambre, il désire désormais la détruire... Son scepticisme et sa prétendue rationnalité le conduit à la destruction à la fois de ce qui l'entoure et de sa propre personne, puisque son espoir a disparut. « Stalker est finalement une théorie du sens pour un non-sens théorique. » (Ibid)

    La poésie de l'art tarkovskien, en somme, refuse la raison et l'explication. Il découvre un monde, et laisse le soin au spectateur de construire lui-même un sens. Tarkovski parle dans ses écrits ou interview d'un purgatoire, pour la chambre, il la considère comme un lieu transcendant, à la fois intrinsèque à la Zone et faisant parti de l'au-delà : une sorte de passerelle. Safiouline, le chef décorateur, dans un entretien, déclare que pour lui, la chambre, c'était le réalisateur lui même. C'était ce désir d'intransigeance et de pureté, cette volonté d'élévation vertueuse et surtout cette foi, si symptomatique de l'oeuvre tarkovskienne. Chacun a à décider ce qu'est la Zone, ce qu'est la chambre, et peut-être, dans un même temps, à se demander dans la vie réelle ce qu'est sa zone, et sa chambre. C'est à la fois rebutant, exigeant, et très artistique. La démarche consiste a rendre le spectateur actif, sans quoi le film resterait un non-sens inutile. Finalement, le sens reste à déduire du film, parce qu'il est absent. Tout est possible, et rien n'est expliqué. Nous sommes dans le domaine de la sensation. La lenteur, les plans larges et fixes, participent à l'anti-narration. Il n'y a pas de sens, au fond pas plus que dans le monde réel, les deux mondes se reposent sur l'inconscience.

    Tarkovski part d'un monde réel, qu'il transforme, finalement, plus qu'il détruit. La destruction n'est pas une méthode qu'il exige, la mutation semble plus recommandée, et l'on voit bien que le passage du monde réel à la Zone ne se fait pas brusquement et sèchement, il y a toute une progression coriace et résistante, avant d'atteindre le nouvel univers, cette création de la pensée, où les deux vertus absolues défendues sont l'espoir et la foi. Les piliers d'une simplicité extrême, sans artifice, de la pensée tarkovskienne.
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    Message par S. Mar 4 Mar - 20:13

    V - Conclusion


    Que reste t'il de l'oeuvre de Tarkovski ?



    L'oeuvre cinématographique d'Andreï tarkovski dépasse de loin la simple beauté artistique, et ne peut se résumer à la mise en scène du conflit entre le spirituel et le matériel, ou la nature et le social, etc... Elle érige bel et bien une philosophie, un support de pensée, certes artistique, mais aussi très proche de la réalité et de la sensation. Les deux éléments peuvent être émancipateurs de la récéptivité du spectateur. Il peut être touché par la sensibilité de l'oeuvre, ou intrigué et prêt à continuer la réflexion introspective.
    L'oeuvre est exigeante envers elle même, et exigeante avec ceux qui souhaitent l'analyser et l'approfondir, mais elle reste accessible, l'hérmétisme premier n'étant finalement que l'émanation d'une sincèrité sensible, à laquelle nous ne sommes pas habitués. Le cinéaste clôt d'ailleurs son Temps Scellé, avec cette phrase : "J'aimerai que ceux qui soient en accord avec mes propos, même partiellement, deviennent pour moi des alliés, des âmes sœurs".

    S'il est l'un des plus grands cinéastes du monde, c'est qu'il a pu exprimer l'inexplicable, des idées qui ont une difficulté innée à sortir de l'indicible.

    « C’est une conclusion extrêmement pessimiste. L’homme répète sans cesse ses erreurs. C’est horrible. Encore une énigme ! Je crois qu’il nous faut fournir un travail spirituel très important pour que l’histoire passe enfin à un niveau élevé... Le plus important est la liberté de l’information que l’homme doit recevoir sans contrôle. C’est le seul outil très positif. La vérité non contrôlée est le début de la liberté. » Lui qui souhaité une vérité non contrôlée, est parti avant d'avoir pu assister à la chute de l'URSS. Peut-être cela lui aurait-il inspiré une nouvelle voie, il est certain, en tout cas, que son art en aurait subit des répercussions. Mais dans notre société actuelle, où la censure n'existe presque plus, et où au contraire, les images et les informations nous assaillent, il ne nous ait aucunement aisé de trier, et de dicerner la vérité. Dans notre société où la vérité est quasiment créé, nous avons encore beaucoup de choses à apprendre...
    Tarkovski n'était pas optimiste, il se plaisait à dire qu'un pessimiste était « un optimiste bien informé », mais il avait espoir. Et c'est quelque chose qu'il a certainement cherché à nous faire partager. Car enfin, s'il ne croyait pas en la rationalité de l'homme, il croyait en l'Art, il croyait en son métier de cinéaste, peut-être finalement plus qu'en Dieu, car comme disait son auteur préféré, Dostoïevski : « Seule la beauté peut sauver le monde ». Et cette beauté, il nous la montre dans ses films. Rappelons-nous du sublime chant dans Andreï Roublev, aux mélodieux échos lyriques et résonances religieuses.

    Que nous laisse t'il ? De la beauté, de l'espoir,

    S'il y a une chose à retenir de son oeuvre, c'est qu'il y a beaucoup à retenir...
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    Message par S. Mar 4 Mar - 20:14

    VI-Bibliographie


    Sur Tarkovsky :

    Andreï Tarkovski, de Antoine de Baecque, cahiers du Cinéma, collection Auteurs.
    Entretiens avec A. Kniajinski (directeur de la photographie)
    Entretiens avec R. Safiouline (décorateur)
    Entretiens avec E. Artemiev (compositeur)
    Analyse de Gilles Visy

    Ouvrages généraux :

    Gilles Visy Films Cultes – Culte du Film
    Gilles Deleuze : L'image-temps (chapitre 4 : les cristaux de temps), 1985
    Le Cinéma, Ronald Bergan
    Qu'est ce que le Cinéma, André Bazin
    Le langage cinématographique, Marcel Martin
    « Esquisse d'une philosophie du cinéma », André Malraux
    Gilles Deleuze : L'image-temps (chapitre 4 : les cristaux de temps), 1985


    Liens internet :

    Nouvelles Clés (dernier entretien, le 28 avril 1986)
    http://www.nouvellescles.com/article.php3?id_article=666

    Kinoglaz.fr
    http://www.kinoglaz.fr/u_fiche_person.php?num=310

    Programme de la rétrospective au centre Pompidou :
    http://www.centrepompidou.fr/Pompidou/Communication.nsf/docs/ID7B30EAFE4079E9E4C1256C540053EFB6/$File/tarkovski.pdf

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